Le monde post-coronavirus – Géopolitique de la France dans la nouvelle rivalité des puissances

Le monde post-coronavirus – Géopolitique de la France dans la nouvelle rivalité des puissances

2 novembre 2020 0 Par Pierre-Emmanuel Thomann

Le diagnostic

La fragmentation géopolitique du monde qui s’aggravait déjà avant la pandémie de coronavirus sort aujourd’hui renforcée. La crise sanitaire suivie de la crise économique comporte aussi une forte dimension géopolitique. Elle doit être comprise comme une dynamique susceptible de modifier la hiérarchie du pouvoir en Europe et dans le monde. C’est un moment inédit pour identifier les grandes tendances de la géopolitique mondiale, mais aussi de réfléchir à la posture de la France dans le monde post coronavirus, notamment pour proposer des inflexions et des adaptions en termes de priorités géopolitiques et d’alliances.  

La nouvelle rivalité des grandes puissances à l’échelle mondiale s’est imposée comme représentation géopolitique dominante depuis la désignation par les États-Unis de la Russie et la Chine comme adversaires stratégiques. C’est le temps des grandes manœuvres géopolitiques dans les espaces terrestres, maritimes, aériens mais aussi le spatial, le cyberespace, l’espace numérique et l’espace-temps de l’intelligence artificielle.

L’ordre géopolitique qui émerge fait à nouveau de l’Eurasie l’enjeu majeur, tandis que l’Afrique et l’Amérique du Sud restent des théâtres secondaires.   

Les États-Unis, pour ralentir la nouvelle multipolarité et défendre leur statut de première puissance en érosion, sont déjà engagés dans une manœuvre mondiale d’enveloppement de l’Eurasie avec un front Est-européen et balkanique visant la Russie et la stratégie indopacifique contre la Chine. La Chine, puissance ascendante, réplique par sa stratégie de désenclavement avec le projet des nouvelles routes de la soie dans leur dimension territoriale (Eurasie), maritime, spatiale, et numérique. La Russie, partisane d’un monde multipolaire, a élaboré son projet de « Grande Eurasie »[i] avec en son centre l’Union eurasiatique dans le cadre d’un pivot vers l’Asie pour résister à la pression des États-Unis au moyen de l’OTAN et l’Union européenne (UE). Elle fait aussi un retour en Afrique et en Amérique du Sud. La Chine et la Russie contestent toutes deux l’ordre géopolitique occidental issu de la fin de la guerre froide.

L’Union européenne, puissance normative, fait du multilatéralisme sa doctrine principale. Elle fait aussi la promotion d’un monde régit par le droit international et les droits de l’Homme sur le principe idéologique de la société ouverte et du libre échange[ii]. Elle est en désaccord avec l’unilatéralisme des États-Unis et revendique une autonomie stratégique. Elle se considère toutefois complémentaire de l’OTAN. Puisqu’elle refuse le modèle du monde multipolaire[iii], elle était jusqu’à présent proche des priorités géopolitiques des États-Unis en envisageant la Russie comme un défi stratégique, et la Chine comme un défi systémique. L’UE n’a donc pas de stratégie géopolitique autonome, malgré quelques différends sur certaines crises avec les  États-Unis. Les désaccords entre ses États membres à l’occasion des crises successives, y compris la dernière crise sanitaire, ont souligné qu’elle poursuit sa trajectoire de fissuration croissante, avec le Brexit, le clivage Nord-Sud (zone Euro) et Est-Ouest (crise migratoire).

La nouvelle rivalité géopolitique franco-allemande sur les finalités européennes[iv] est l’épicentre de la crise de l’UE avec une asymétrie croissante entre les deux pays, encore renforcée par la pandémie au profit de l’Allemagne[v] comme puissance centrale. Celle-ci conforte sa position comme centre de gravité géopolitique de l’UE depuis sa réunification et les élargissements successifs. Cette évolution est tempérée par la volonté du couple franco-allemand asymétrique[vi] de sauvegarder le marché unique par un plan de relance européen temporaire à l’occasion de la pandémie. Ce faisant, les désaccords de fond sont remis à plus tard et ce plan ne sera pas en mesure de résoudre les fractures internes. L’UE, construction sui generis en chantier permanent masque la hiérarchie réelle du pouvoir des États qui décident en coulisses. Les grands États membres de l’UE, comme les plus petits, poursuivent des visions géopolitiques différentes qui finissent souvent par se neutraliser.

Face à la nouvelle configuration mondiale, quels pourraient être les éléments d’une nouvelle posture géopolitique[vii] de la France, notamment en termes de priorités géopolitiques et d’alliances ? Examinons quelques pistes à l’échelle nationale, européenne et mondiale.

La manœuvre principale d’une nouvelle stratégie géopolitique[viii] de la France pourrait se résumer ainsi : amorcer un « resserrement géographique et stratégique » sur les priorités essentielles, reconstruire la nation française face aux fractures territoriales internes croissantes et, simultanément, repenser les alliances en vue d’atteindre un poids géopolitique suffisant pour  reconstruire la puissance française au niveau européen et mondial. (Carte n° 1 : France, puissance d’équilibre, charnière européenne).

Carte N¨1

Le « resserrement géographique et stratégique » se définit comme la prise en compte du principe de « proximité géographique » afin que la sécurité globale de la France dépende moins de processus non maitrisables dus à leur éloignement, mais aussi comme une concentration de l’action et une économie des moyens. L’ouverture anarchique à la mondialisation renforce les vulnérabilités européennes sur des espaces sur lesquels la France et ses partenaires de l’UE ont peu de contrôle. Un « resserrement géographique et stratégique » réussi se mesure par une moindre exposition des Européens aux menaces à la sécurité globale en réduisant les interdépendances anarchiques (énergétiques, économiques, informationnelles, technologiques, démographiques…) avec des territoires lointains. Cela implique un filtrage plus important des flux (géopolitique des stocks et des flux) aux frontières et de négocier un système de préférences nationales et européennes. Ce scénario aurait un impact important sur le rôle des armées car la défense du territoire est plus facilement assurée à ses propres frontières et sur les espaces avoisinants.  

Les États-Unis et la Russie sont les clés de la sécurité et de l’équilibre mondial, mais aussi de plus en plus, la Chine, en particulier pour les Français et les Européens afin d’amorcer une stratégie organisée selon les axes maritimes et continentaux. La position géographique des États européens ne peut pas être valorisée dans un enfermement stratégique, en particulier vis-à-vis de l’Eurasie. La priorité est de parachever un espace de stabilité de Vancouver à Vladivostok (hémisphère Nord), en clarifiant la relation avec les États-Unis, et promouvoir une nouvelle architecture géopolitique en Europe incluant la Russie, encore inexistante, au centre de cet espace. Un rapprochement européen selon l’axe continental et un rééquilibrage de l’alliance euro-atlantique serait indiqué pour que la France et ses partenaires européens puissent peser plus fortement sur la stratégie des États-Unis en fonction de leurs propres priorités. (Carte n° 2 : La France dans un monde plus équilibré et un projet européen réformé ).    

  

Reconstruire la nation française

Il n’y a pas de nation sans territoire. Le territoire constitue l’espace d’enracinement de la nation mais aussi un espace sécurisé par des frontières à l’intérieur desquelles s’est développée aux fil des siècles une identité particulière.

Or la France est sur une trajectoire de fissuration territoriale avec des zones dans lesquelles se développe un processus de différentiation territoriale causé par des fractures sociales, économiques, politiques, culturelles, identitaires et religieuses. Le conflit de civilisation avec l’islam politique mais aussi la dérive rapide vers les rivalités ethnoculturelles au sein de la population préparent selon le scénario le plus pessimiste, des sécessions territoriales irrémédiables.       

L’enjeu national pour la France est de retrouver la maîtrise de son destin pour choisir son propre modèle de civilisation. Cela passe par la reconquête des territoires perdus de la nation, simultanément à la maitrise de ses frontières pour endiguer l’immigration[ix]. Sans résoudre cette fracture interne croissante, la France va s’affaiblir au niveau international et prête le flanc aux ingérences, au travers du prosélytisme islamiste, du communautarisme voire du terrorisme, dans le cadre de manœuvres de division orchestrées par des acteurs hostiles intérieurs et extérieurs.  

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La France,  charnière et puissance d’équilibre européenne

Pour la France, exploiter les potentialités que lui offre la géographie suggère un positionnement comme pôle de puissance et facteur d’équilibre à la charnière des espaces géopolitiques euro-atlantique, euro-asiatique, euro-méditerranéen, africain et euro-arctique.

Sa vocation est de promouvoir un monde multipolaire sur la base de l’équilibre des puissances afin d’éviter toute hégémonie mondiale, de la souveraineté des États-Nations dont elle est le prototype historique, de la liberté des peuples à maîtriser leur destin en préservant leurs héritages historiques et culturels (l’enracinement), et d’un nouvel équilibre entre l’homme et la nature combinant humanisme et innovation technologique pour les générations futures. Cette posture devrait être clairement identifiable dans le monde pour son propre prestige mais aussi pour son rôle positif dans la résolution des crises.

La relation bilatérale avec les États-Unis : les enjeux de la globalisation versus la civilisation occidentale

Depuis la présidence de Donald Trump, une inflexion vers une approche plus critique vis à vis de la globalisation sans entrave et ses valeurs permissives autrefois promue par les États-Unis, s’est imposée.  

La doctrine unilatéraliste, un  moindre intérêt vis à vis de l’Alliance atlantique, la méfiance à l’égard des institutions et traités multilatéraux en général, y compris l’UE, de la part du président américain Donald Trump dans le cadre de la doctrine « America First » ne signifie pas le retrait des États-Unis de l’Europe ou du monde. Les États-Unis continueront de défendre leurs intérêts de manière plus ciblée selon leurs propres priorités et exerceront leur influence au travers des alliances bilatérales. 

Dans un passé récent, la diplomatie française s’est souvent alignée sur les priorités stratégiques des États-Unis (mis à part l’intervention en Irak en 2003). En revanche, elle critique aujourd’hui l’unilatéralisme et les valeurs conservatrices promues par Donald Trump. C’est l’inverse qui serait plus en phase avec une marge de manœuvre renouvelée de la France.

Il serait judicieux pour la France de renforcer sa relation bilatérale avec les États-Unis, pour prendre part au futur « concert des puissances mondiales » qui suppose la construction d’alliances destinées à éviter la suprématie d’un seul pôle sur tous les autres, et de négocier des positions communes. C’est une inflexion face au multilatéralisme idéologique promu par l’UE qui n’a pas d’effet sur la géopolitique réelle. Une multipolarité acceptée est le préalable à un multilatéralisme renouvelé. De plus, la France réduit sa marge de manœuvre à vouloir souvent faire de l’unité au sein de l’UE ou de l’OTAN un préalable à l’action.

Le partenariat euro-atlantique devient de plus en plus asymétrique et hiérarchique au détriment de l’UE. L’Amérique de Donald Trump favorise une forme de multipolarité, mais sans l’UE. Le maintien d’un scénario exclusif euro-atlantiste porté par l’UE par inertie aboutit en réalité pour les gouvernements européens à éviter les responsabilités. C’est la pente la plus facile, mais elle est lourde de conséquences pour l’avenir, notamment la marginalisation des Européens dans le jeu mondial.

La France gagnerait à redevenir un allié critique comme le faisait le général de Gaulle lorsque les interventions militaires dans le monde selon la doctrine des changements de régimes provoquent des dégâts pour la sécurité de le France. Par contre, la poursuite des coalitions restreintes avec les États-Unis en fonction des intérêts de la France contre l’ennemi djihadiste au Sud de la Méditerranée ou ailleurs serait indiquée.

La géopolitique, c’est aussi la rivalité des modèles de civilisation sur le territoire. La promotion conjointe d’un nouveau réalisme avec la réhabilitation des frontières, l’immigration maîtrisée et choisie, la sauvegarde des valeurs de la civilisation occidentale, la relocalisation des industries stratégiques sur le territoire national vis à vis de la Chine, l’arrêt de l’expansion illimitée du pouvoir des organisations multilatérales, et le combat contre les idéologies multiculturalistes qui mènent aux conflits ethnoculturels traversant l’Atlantique seraient des éléments de synergie à promouvoir avec les États-Unis, notamment avec Donald Trump et la classe politique aux États-Unis en phase avec cette nouvelle boussole s’il n’était pas réélu.    

La stratégie indopacifique des États-Unis pour endiguer la Chine amène la France qui est aussi une puissance du Pacifique à se positionner avec ses propres priorités. La concertation avec l’Inde, le Vietnam, Taïwan, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, la Nouvelle Zélande lui donne l’occasion de jouer le rôle de puissance d’équilibre vis à vis de la rivalité entre les États-Unis et la Chine.

Une manœuvre stratégique duale pour surmonter la pire configuration pour l’Europe   

La dynamique géopolitique accompagnant la pandémie renforce l’émergence de la Chine comme l’enjeu le plus préoccupant pour les États-Unis. La rivalité américano-chinoise  devient l’élément géopolitique structurant pour le monde[x].            

Or l’évolution de cette configuration géopolitique pourrait devenir particulièrement défavorable pour la France et ses partenaires européens.  

L’UE, avant la pandémie, était coincée dans l’angle de deux arcs de crises, l’un au Sud (menace djihadiste), l’autre à Est (crise entre UE/OTAN et Russie) et risque aussi de devenir l’épicentre occidental de la rivalité américano-chinoise.

Cette évolution réduit la sécurité des Européens tiraillés et divisés entre la rivalité américano-chinoise et la rivalité américano-russe. S’y ajoute la menace djihadiste à partir de l’arc de crise au Sud de l’Eurasie (Sahel/Méditerranée-Proche Orient-Afghanistan) qui fait de l’Europe son espace d’expansion sur le terreau des nations européennes fracturées par les vagues d’immigration sans assimilation.

Quelles sont les options pour la France et ses partenaires européens dans cette configuration en évolution ?

La manœuvre principale est d’éviter l’aspiration effrénée de la France et ses partenaires européens dans une rivalité américano-chinoise frontale et l’enfermement entre les deux arcs de crises dans sa proximité géographique au Sud (du Sahel à l’Afghanistan) et à l’Est (de l’Océan arctique à la Mer noire).

Le théâtre principal pour la France reste l’Europe et ses hinterland eurasien (Russie, Turquie, Caucase, Asie centrale) et euro-méditerranéen (Maghreb/Sahel, Proche et Moyen Orient) en raison de la géographie et des alliances (UE-OTAN).

Toutefois, la France a aussi besoin d’une stratégie Méditerranée-Pacifique, c’est à dire le long d’un axe allant du Proche Orient à l’Extrême Orient en passant par la Méditerranée et l’Océan indien, passage de la métropole aux archipels et zones économique exclusives des Océans indien et pacifique.

Le pivot vers la Russie dans la cadre de la rivalité américano-chinoise 

Pour desserrer cet étau obligeant les Européens à agir sur plusieurs fronts simultanés qui épuisent leurs ressources, amorcer un pivot vers la Russie serait une manœuvre stratégique indiquée. La Russie n’est plus une menace, ni pour la France ni pour les Européens. Elle n’est donc pas un ennemi, malgré les tentatives de l’OTAN de s’engager dans un nouvelle guerre froide qui fragmente dangereusement l’Europe. (Carte n° 3 Options géopolitiques des Européens face à la rivalité américano-chinoise).    

  

Carte n¨3

En effet, la Russie ne s’alignera pas sur une alliance occidentale sous domination des États-Unis contre la Chine. La Russie ne s’alignera pas non plus sur la Chine dans cet affrontement de la même manière que la Chine a préservé une posture indépendante face à la crise entre les États-Unis/alliés européens et la Russie. Une prise de distance des Européens face à la tension sino-américaine, dont le théâtre principal restera éloigné des zones les plus sensibles et prioritaires pour les intérêts européens, comme la menace djihadiste dans l’arc de crise au Sud, serait plus judicieuse, notamment au sein de l’OTAN. 

Cette nouvelle dynamique est une occasion pour la France et ses partenaires européens favorables à cette approche de tenter de surmonter la crise entre la Russie et l’UE, d’autant plus que des voix s’élèvent en Russie pour s’engager dans une nouvelle doctrine de « non-alignement »[xi]. C’est un moment à saisir pour éviter de cristalliser cette fracture au milieu de l’Europe.

La formation d’une coalition d’États volontaires serait appropriée pour agréger un poids politique suffisant au sein de l’UE, ou en dehors, afin d’entamer des discussions sur une nouvelle approche[xii].

Le scénario le plus approprié pour plus d’autonomie stratégique de la France et des Européens serait un rôle de modération avec la Russie dans cette confrontation mondiale croissante entre les États-Unis et la Chine. Cela éviterait aux Européens d’être soumis à une forme de condominium États-Unis/Chine marginalisant l’UE et la Russie dans les affaires mondiales. Des synergies entre Européens, Américains et Russes seront toutefois nécessaires pour contrer une montée en puissance sans limite de la Chine.   

Un rapprochement entre l’UE et la Russie vis à vis du projet des nouvelles routes de la soie donnerait aussi plus de poids aux Européens vis à vis de la Chine pour éviter une pénétration des intérêts chinois sans limite en Europe[xiii].

L’idée est de relancer une « Grande Europe » pour positionner les Européens entre un « Grand Occident » centré sur les États-Unis et leur nouvelle doctrine « America First »[xiv], le projet de « Grande Asie/nouvelles routes de la soie » de la Chine, et le projet de « Grande Eurasie » de la Russie dont le cœur est l’Union eurasiatique. Ces initiatives vont se chevaucher, souvent rivaliser, mais parfois aussi se compléter. Les Européens ne doivent pas rester inactifs par rapports aux grandes manœuvres des autres puissances. Une UE réformée et la Russie peuvent échapper à se transformer en partenaires juniors de ces projets géopolitiques rivaux, l’UE restant un sous-élément périphérique du « Grand Occident » et la Russie un sous-élément de la « Grande Asie ».

En réintégrant la Russie dans les plans stratégiques, la manœuvre aurait le double avantage d’assurer plus de sécurité aux Européens en modifiant les équilibres externes, et d’aborder la question des déséquilibres internes de l’UE dans le contexte du Brexit. La configuration géopolitique mondiale et européenne actuelle se prête aux anticipations du général de Gaulle qui avait envisagé une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » sur la base des États et des nations lorsque la Russie serait sortie du communisme.[xv] De plus, la Russie fait culturellement partie intégrante de l’Europe.

Cette manœuvre serait d’autant plus pertinente que la posture des États-Unis va forcer les Européens à se déterminer sur leur relations vis à vis de la Russie et la Chine.   

Le scénario le plus probable est celui ou les États-Unis continuent de penser qu’il est nécessaire d’endiguer de manière duale la Russie et la Chine. Les Européens devraient éviter d’être considérés comme des acteurs de second rang à diviser ou enrôler aussi dans le cadre la rivalité américano-russe[xvi].

Il serait judicieux pour les Européens de peser sur la rivalité américano-russe, notamment la question de la nouvelle course aux armements nucléaires[xvii]. Si une inflexion des relations américano-russes se manifestait à l’avenir sur des thématiques précises, il serait utile d’éviter pour les Européens de se faire doubler sur une éventuelle reprise des échanges économiques et des accords énergétiques.

Surmonter l’enfermement de la France et des Européens entre deux arcs de crise

Dans la proximité géographique de l’Europe, les Français et les Européens pourraient éviter de faire face à deux fronts d’États hostiles à l’Est et au Sud, situation qui aggrave leur sécurité européenne et limite leur marge de manœuvre. (Carte n° 4 – L’Union européenne dans l’angle de deux arcs de tensions).

Pour briser l’enfermement européen dans l’angle des deux arcs de tensions au Sud, (révolutions arabes), à l’Est (conflits gelés et chauds issus de la désintégration de l’URSS) une double manœuvre stratégique comportant un rapprochement substantiel avec la Russie et les pays d’Europe orientale et une action visant à reconstruire des alliances profitables (et non à risques) au Sud de la Méditerranée seraient les bienvenues. La perspective d’une relation difficile avec États au Sud de la Méditerranée aspirés dans une période durable de troubles est de plus en plus probable. La Turquie en particulier qui pratique le chantage migratoire et s’active en Libye suit une trajectoire d’hostilité croissante vis à vis des États Européens.

L’avantage de cette manœuvre stratégique bidirectionnelle réside dans la concentration des efforts et éviter la dispersion des moyens pour une gestion partagée des instabilités européennes orientales et l’identification des intérêts communs[xviii] avec les pays du continent eurasien dans l’arc de crise au Sud, là ou se trouve le véritable ennemi djihadiste[xix].  

Réformer le projet européen; vers une Europe des cercles et alliances variables, et promouvoir plus d’équilibre géopolitique dans l’UE et la grande Europe

La place de la France dans un projet européen réformé dépendra avant tout de sa propre capacité à redéfinir un projet national impliquant une reconstruction des outils de puissance. L’étape simultanée est d’opérer un choix d’alliances plus fluides en fonction des crises, circonstances et des thématiques pour promouvoir la réforme du projet européen.

La France peut chercher à obtenir une position commune des 27 États membres dans l’UE, mais comme cela est devenu quasiment impossible sur des sujet de grande importance sans dilution des actions proposées[xx], cela ne doit pas l’empêcher d’agir. De plus une « souveraineté européenne » est illusoire car l’UE ne sera jamais une nation. L’alternative est de promouvoir des coalitions plus restreintes de partenaires, privilégier le niveau bilatéral, ou agir seule lorsqu’il en va de ses intérêts fondamentaux.

Malgré la crise actuelle et le plan de relance européenne, il est à prévoir que l’UE va rester largement coincée dans ses anciens paradigmes en raison des désaccords à 27 sur les finalités de l’UE dans le monde post coronavirus. Il serait utile de mettre en avant des thématiques de réformes[xxi] avec d’autres partenaires, et oser la rupture lorsque cela est nécessaire, à l’image de l’épisode de la « chaise vide » lorsque le général de Gaulle était en désaccord frontal avec les institutions européennes et les autres États membres.

Rééquilibrer l’axe franco-allemand dans un projet européen réformé

Le couple franco-allemand, outre son image d’unité, détient un rôle de charnière entre l’Europe du Nord et du Sud en raison de son poids économique, démographique et politique et de sa position géographique entre les différentes composantes de l’Europe telles que l’Europe du Nord et du Sud, la Méditerranée et l’Europe centrale, l’Europe latine, germanique et slave.

Toutefois, une nouvelle rivalité géopolitique franco-allemande a surgi depuis l’unification allemande et l’élargissement de l’UE[xxii]. La fonction du couple franco-allemand  est de servir d’outil de pouvoir, de charnière irremplaçable dans l’UE. Sa fonction plus implicite est de masquer le déséquilibre franco-allemand au profit de l’Allemagne. L’Allemagne minimise ainsi son rôle de puissance centrale depuis l’élargissement de l’UE, et la France donne l’illusion de la parité. De plus, derrière les accords de façade, les finalités divergent entre les deux pays.

Le couple franco-allemand, mobilisé de manière trop exclusive, devient de plus en plus un obstacle à la marge de manœuvre française. Une option alternative impliquerait une vision du couple franco-allemand moins exclusive, comme le conçoit d’ailleurs l’Allemagne, mais avec ses propres priorités.

Si l’on se penche sur la réponse européenne à la crise économique liée à la pandémie du coronavirus, la France est à nouveau est en situation asymétrique vis à vis de l’Allemagne. L’Allemagne est l’étalon de la France pour chaque crise. On voit bien que face au coronavirus, où la performance de l’Allemagne est déjà considérée comme nettement meilleure, c’est à nouveau le cas. La solution traditionnelle pour la France est une fuite en avant dans l’intégration de l’union économique et monétaire pour espérer contrebalancer l’Allemagne par plus d’Europe. Ce faisant elle maintient le couple franco-allemand mais la relation franco-allemande devient de plus en plus asymétrique en faveur de l’Allemagne.

Avec le plan européen en négociation, il apparait que la France va être la perdante des arbitrages. A la suite d’une proposition franco-allemande, la commission européenne a dévoilé son propre plan reposant largement sur les conceptions allemandes.

Tout d’abord, le projet de budget de la zone euro auquel tenait la France va disparaitre[xxiii] et c’est un plan de relance au niveau de l ‘UE des 27, priorité de l’Allemagne qui va s’imposer. Il faut rappeler l’enjeu initial. Le renforcement de la zone euro était central pour la France et notamment pour le président français Emmanuel Macron dans le cadre de ses propositions européennes au début de son mandat. Son objectif était de faire émerger un gouvernement économique de la zone euro avec un budget spécifique, et même un parlement. Un budget anémique de la zone euro avait fini par être accepté par l’Allemagne en 2019. Avec la disparition du budget de la zone euro, ce projet n’a visiblement plus été défendu par la France. Plusieurs décennies d’efforts de la diplomatie Française depuis l’introduction de l’euro pour promouvoir la zone euro comme centre de gravité croissant du pouvoir au sein de l’UE, en concurrence avec l’Allemagne qui a toujours préféré l’échelle de l’UE à 28(27 avec Brexit), ont été annihilés. Les présidents précédents,  Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient déjà échoué dans leur volonté de rééquilibrage géopolitique de l’Union européenne selon cette voie.

C’est un enjeu qui est passé totalement inaperçu dans la presse française. Les médias ont par contre insisté sur une soi-disant conversion de l’Allemagne aux idées françaises de mutualisation des dettes, et de solidarité. Qu’en est t-il vraiment ?

Pour répondre à l’insistance de la France et des pays du Sud, l’Allemagne a accepté un plan de relance européen permettant à la commission européenne d’obtenir directement des prêts sur les marchés financiers, mais pour mieux neutraliser les  « coronabonds » qui proposaient une plus grande mutualisation des dettes.  L’Allemagne comme les pays du Nord[xxiv] refuse logiquement la dérive de l’UE vers une « Union de transferts financiers »[xxv](Transferunion en Allemand) que la France est soupçonnée de promouvoir pour financer les pays du Sud de l’UE[xxvi]. Par contre les Allemands sont favorables à un centre intégrateur porté par l’UE dont elle domine de plus en plus les institutions, afin de préserver ses priorités.

L’Allemagne a ainsi bougé par rapport à son intransigeance initiale, mais c’est parce qu’elle a changé de tactique pour maintenir une zone euro largement à son profit. La création de la monnaie unique a eu pour effet de faciliter l’endettement des pays du Sud à des taux favorables, mais l’effet collatéral fût leur désindustrialisation, France comprise. Les erreurs  de stratégie économique sont évidemment aussi le fait des pays du Sud. 

Face à la crise actuelle, l’Allemagne a besoin de liquidités pour son industrie et a accepté un assouplissement des règles de l’UE, mais s’assure que des contreparties seront exigées par la Commission européenne. L’Allemagne a en effet intérêt à préserver les chaînes de production de ses entreprises qui ont été localisées en Italie du Nord et en Europe centrale et orientale. Elle n’a par contre pas intérêt à fournir des liquidités pour favoriser l’émergence de concurrents à ses exportations. L’Allemagne va à nouveau exiger avec la commission européenne l’interdiction des aides d’Etat et l’application des règles de concurrence dont l’assouplissement avait été décidé temporairement pour faire face à la crise.  De plus, le plan de relance national (séparé de l’UE) de l’Allemagne sera également bien plus important  que celui de la France qui compte surtout sur le plan de relance européen. L’asymétrie se renforce[xxvii].

 Cela signifie que les débats en France sur la ré-industrialisation, la renationalisation et la relocalisation des chaînes de production en privilégiant les circuits courts en synergie avec un protectionnisme intelligent risquent très probablement de rester lettre morte. Une véritable politique industrielle de la France sera impossible à mettre en œuvre  avec le plan de l’UE basé sur la poursuite de l’économie ouverte à la globalisation[xxviii]. Mis à part des effets d’annonce pour le secteur médical, l’industrie allemande souhaite en réalité préserver ses délocalisations en Chine et en Asie en général.

De plus, comme le remboursement des nouvelles dettes de l’UE devra probablement être honorée par  les Etats[xxix], l’État Français risque d’être contributeur net de ce plan de relance[xxx], avec en plus une perte de souveraineté puisque les projets seront sous supervision de la commission européenne.    

Dans le passé, les gouvernements français se sont souvent contentés d’une victoire à la Pyrrhus en obtenant des concessions au niveau de l’UE, aujourd’hui  «  la solidarité » ou  «  la  mutualisation des dettes », tandis que  les gouvernements allemands ont imposé les modalités des nouvelles politiques. Dans l’UE, le diable se niche toujours dans les détails. C’est la logique du pouvoir dans l’UE depuis l’introduction de l’euro sur l’insistance des Français pour que l’Allemagne abandonne le Deutsche Mark à l’occasion du Traité de Maastricht (1992).

A plus long terme se pose la question des finalités de l’UE. L’Europe est elle un simple espace ouvert aux flux de la mondialisation ou un territoire forteresse ? Une « Europe protection » dans la mondialisation, option préférée de la France,  entre en contradiction avec l’Allemagne comme « nation-exportatrice ». L’Allemagne cherche à maintenir une Europe ouverte pour tirer avantage de sa puissance exportatrice et investir les surplus de capitaux dans le monde entier.

On touche aussi aux fondement géopolitiques du projet européen, en particulier les malentendus franco-allemands. A partir du précédent créé par la mutualisation modeste des dettes dans le plan de relance européen, les fédéralistes vont chercher à plus long terme à pérenniser ce mécanisme et le renforcer pour aboutir à un saut fédéral européen. Dès lors, comment invoquer une mutualisation des dettes sans donner en contrepartie une mutualisation politique demandée par l’Allemagne, ce que la France a toujours refusé jusqu’alors ? Les Français reculent toujours lorsqu’il s’agit de mutualiser le siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU, ou adopter la majorité qualifiée en politique étrangère. Les Allemands perçoivent cette insistance des Français à vouloir mutualiser les dettes à chaque crise comme un alibi pour profiter de la puissance économique allemande, et d’exercer un chantage à la « solidarité », mais sans contreparties. Le saut fédéral européen est donc une impasse en raison des désaccord franco-allemands.

En conclusion,  ce plan se révélera être une grande illusion pour ceux qui pensaient qu’il surmonterait les déséquilibres au sein de la zone euro et de l’UE entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord, et qu’il permettrait un meilleur équilibre vis à vis de l’Allemagne, en procédant par une fuite en avant dans l’intégration.

Un rééquilibrage du couple franco-allemand et de l’UE est donc nécessaire.

Dans l’immédiat, la France pourrait à l’inverse exiger la plus grande marge de manœuvre possible de la part de l’UE pour ses projets. L’élaboration d’un plan national solide serait préférable afin d’éviter que  les crédits nationaux ne s’alignent intégralement sur les exigences de l’UE, mais que les financements de l’UE viennent abonder les priorités nationales. Mais cela ne suffira pas car encore faudrait t-il que cet argent soit utilisé pour l’innovation, la ré-industrialisation pour créer des emplois et non pas pour alimenter des bulles financières ou des subventions  publiques inefficaces.

Le rôle de charnière de la France et l’Allemagne au centre de l’UE reste un élément central notamment pour les questions économiques et monétaires. Un rééquilibrage est cependant nécessaire aves les pays de l’arc latin comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal vis à vis de la gestion de l’euro, les pays d’Europe centrale à propos de la préservation des valeurs de la civilisation européenne[xxxi] et le Royaume-Uni pour préserver un équilibre européen, surtout après le Brexit. Tous deux en possession de l’arme nucléaire, mais aussi membres du conseil de sécurité permanent de l’ONU, les Français et les Britanniques doivent s’épauler. Dans les Balkans, la Serbie est un État pivot qui a une forte attente vis à vis de la France.

A plus long terme, pour rétablir l’équilibre géopolitique franco-allemand, c’est à nouveau la vision continentale d’inspiration gaullienne qui serait pertinente pour que la France retrouve son autonomie stratégique dans une Europe des États-nations. On l’a dit, un rééquilibrage du projet euro-atlantiste exclusif  ne peut donc pas être efficace sans un changement d’échelle du projet européen, de Brest à Vladivostok, c’est à dire un rapprochement avec la Russie.

Perspectives sur la finalité du projet européen  

« L ’Europe géopolitique » peut devenir la finalité renouvelée du projet européen. Elle est ici définie comme une alliance d’États européens, cherchant à se doter d’une autonomie de réflexion, de décision et d’action au niveau international afin d’assurer leur sécurité, défendre leurs intérêts stratégiques et vitaux, et promouvoir les conditions d’épanouissement de leur civilisation commune. Elle ne tend donc pas vers la « fusion » des États membres. Les prises de décisions intergouvernementales seraient privilégiées pour décider d’actions communes en jouant de la synergie cumulative des différentes souverainetés, et non pas un partage de la souveraineté qui se révèle être une division de celle-ci. Les thématiques européanisées doivent être mutualisées de manière consentie et contrôlée par les États qui restent les maîtres des traités.

L’Europe est aussi avant tout une question de volonté politique et de débats « cartes sur table» à l’occasion des crises. Oser le débat géopolitique en France et en Europe revient en fin de compte à reprendre en main son destin. Cela évite aussi de ne pas tomber dans l’utopie, qui signifie sans lieu en grec.

Article publié dans le dossier « Les leçons d’avenir du Covid-19 », publication réalisée par le centre d’analyse et de prospective de l’ISSEP. été 2020 p.96-112.


[i] Karaganov Serguey (2016) From East to West or greater Eurasia, Russia in global affairs, 25 October//https://eng.globalaffairs.ru/pubcol/From-East-to-West-or-Greater-Eurasia-18440.

Karaganov, Sergey (2017) From the turn to the East to “Greater Eurasia” // Russia in global politics // https://globalaffairs.ru/pubcol/Ot-povorota-na-Vostok-k-Bolshoi-Evrazii-18739

[ii] La Stratégie globale de l’Union européenne (SGUE), 2016, https://europa.eu/globalstrategy/sites/globalstrategy/files/eugs_fr_version.pdf

[iii] Dans la résolution du Parlement européen du 12 mars 2019 sur l’état des relations politiques entre l’Union européenne et la Russie, il est précisé que  « Considérant que la vision russe polycentrique du concert des puissances contredit la croyance de l’Union en un multilatéralisme et en un ordre international fondé sur des règles; que l’adhésion et le soutien de la Russie à un ordre multilatéral fondé sur des règles créeraient les conditions d’un renforcement des relations avec l’Union »  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0157_EN.html

[iv] Thomann Pierre-Emmanuel, « Le couple franco-allemand et le projet européen : représentations géopolitiques, unité et rivalités », 2014, 660 p. 75 cartes, l’Harmattan.

[v] Le cœur du projet européen est constitué par l’Allemagne qui se perçoit comme une puissance centrale et la France, une puissance d’équilibre qui oscillent entre rivalité et coopération dans le «  couple franco-allemand ».

[vi] La fonction du « couple franco-allemand » est de servir d’outil de pouvoir, de charnière incontournable dans l’UE. Sa fonction plus implicite est de masquer le déséquilibre franco-allemand au profit de l’Allemagne. L’Allemagne minimise ainsi son poids renforcé depuis sa réunification, et la France donne l’illusion de la parité. De plus, derrière l’accord de façade, les finalités divergent entre les deux pays.

[vii] La géopolitique est un outil stratégique au service de la défense des intérêts de la nation, de son indépendance, sa souveraineté et son épanouissement. Une stratégie géopolitique de puissance est au service d’un projet national qui détermine les alliances pour y parvenir. Un débat stratégique continu devrait aussi mener à des adaptations de la stratégie nationale dans un monde précaire et instable, traversé de crises perpétuelles, avec une anticipation des risques et des menaces, suivi de la désignation claire de l’ennemi.

[viii] Pour manœuvrer au XXIe siècle dans un monde en recomposition, il faut une stratégie géopolitique conçue comme stratégie intégrale et spatio-temporelle, faisant office de démultiplicateur de puissance. Car la maîtrise du territoire et du temps, au service d’un objectif politique, reste un atout décisif et un élément central de souveraineté. La maîtrise de l’espace-temps d’un acteur géopolitique dépend de sa capacité d’anticipation ou de réaction sur l’espace-temps des autres. La remobilisation de la nation sur ses propres représentations géopolitiques issue de ses fondamentaux historiques et sa position géographique est l’étape préalable à la promotion d’une vision européenne et mondiale.

L’enjeu est de ne pas se faire dicter par d’autres, les paradigmes de pensée, le diagnostic et ses priorités par les autres acteurs, alliés comme adversaires pour promouvoir sa vision du monde et la place que l’on souhaite y avoir. Autrement dit, c’est celui qui a l’initiative qui impose les inflexions géopolitiques. Pour adopter une stratégie géopolitique, il faut se positionner au centre de la carte et se projeter dans les différentes espaces. Les facteurs de puissance à mobiliser sont en constant élargissement: le militaire, la diplomatie, l’espionnage, le nucléaire, l’énergie, l’économie, la monnaie, la finance l’industrie, l’agriculture, la recherche et l’innovation, l’environnement[viii], la démographie, la langue (francophonie), la culture, le droit, l’éducation, le patriotisme et la conscience nationale, l’information, la communication stratégique…

[ix] Cela implique de choisir l’immigration en fonction des intérêts de la nation et non pas selon des normes universelles d’inspiration juridiques, la relance de la démographie par une politique nataliste, et l’assimilation des citoyens issus de l’immigration.

C’est avec une identité renforcée que l’on renforcera le dialogue entre cultures et civilisations, pas avec une décomposition identitaire. La cohésion intérieure des nations et la force des États qui forment l’ossature d’une démocratie réelle seront des facteurs de résilience. Un atout face à ce nouveau partage du monde qui va s’accélérer avec les changements tectoniques dans la hiérarchie du pouvoir à l’échelle mondiale.

[x] Nous ne pouvons pas le comparer au modèle bipolaire de la guerre froide, car les États-Unis et l’Union soviétique étaient en concurrence avec deux « modèles universels ». Le monde chinois est une civilisation trop différente pour aboutir à une bipolarité similaire à la guerre froide. Cela signifie que les États-Unis et la Chine ne pourront pas être en mesure de diviser le monde en deux alliances distinctes, car le monde est devenu plus fluide que pendant la guerre froide et les différents centres de pouvoir resteront asymétriques.

[xi] Report : « Protecting Peace, Earth, and Freedom of Choice for All Countries. New Ideas for Russia‘s Foreign Policy », Russia in Global Affairs, Higher School of Economics (HSE), 2020,   https://eng.globalaffairs.ru/articles/peace-earth-freedom-new-ideas-russias-foreign-policy/

[xii] Les États qui ont dans le passé récent été les plus favorables à un rapprochement avec la Russie sont la France, l’Allemagne et l’Italie qui pourraient être les piliers d’une telle initiative avec d’autres États membres comme l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, le Portugal, la Hongrie, la Grèce et Chypre.

[xiii] Dans le cadre d’une stratégie de reconquête de souveraineté économique vis à vis de la Chine, il faudra distinguer entre le rapatriement des chaines de production pour les secteurs stratégiques et les chaines de production alternatives. Le plan de relance post coronavirus de l’UE en faveur de la stratégie verte et climatique risque paradoxalement de rendre les européens dépendants de terres rares chinoises (batteries…) et nécessitera une réflexion sur les alternatives.      

[xiv] Les États-Unis font de l’Europe un « Rimland », c’est-à-dire un espace côtier sous leur contrôle qui bloque une orientation de l’UE vers l’espace eurasien, et donc vers la Russie, mais aussi la Chine par voie continentale. L’Europe n’est qu’un des théâtres de leur stratégie géopolitique vis-à-vis de l’Eurasie, qui consiste à envelopper ce continent par les fronts est-européen et indopacifique. Une orientation exclusive selon le scénario euro-atlantiste implique donc pour les Européens de se positionner dans les limites imposées par les priorités géopolitiques des États-Unis, et d’agir en conformité ou de s’abstenir. Dans cette configuration, une politique d’équilibre des Européens en fonction de leur propre géographie est donc rendue très difficile. Le scénario exclusif euro-atlantiste rend impossible in fine pour les Européens de décider de leurs propres finalités, faute d’avoir élaboré leurs propres priorités. Ce scénario tendanciel affaiblit les Européens car il fait d’eux une variable d’ajustement de la géopolitique mondiale.

Pour aller vers plus d’autonomie, l’idée d’une nouvelle architecture européenne de sécurité avec la Russie initiée par la France avant la pandémie pourrait être prolongée sur des bases plus solides sur le modèle d’une Europe des nations souveraines et le principe de l’équilibre géopolitique. Le concept d’une sécurité plus équilibrée pour toutes les nations du continent européen et eurasien doit remplacer la doctrine d’expansion de l’OTAN, qui risque la sur-extension. L’ordre géopolitique euro-atlantique, qui est exclusif, est obsolète pour promouvoir la sécurité continentale. Cela impliquerait un arrêt de l’expansion de l’OTAN mais aussi de l’UE, une « neutralisation » (NI OTAN, ni UE) de l’Ukraine et des États issus de l’ex-URSS, l’identification des lignes rouges des États, la négociation des zones d’influences. Il s’agit en fin de compte de redécouvrir les négociations classiques sur les équilibres européens, eurasiens et mondiaux.

[xv] La vision stratégique du général de Gaulle (1958 à 1969) portait sur la réalisation d’une « Europe européenne », c’est à dire une Europe des patries, refusant la logique des blocs et prenant son indépendance vis à vis des États-Unis, à partir d’un noyau franco-allemand, mais sans détricoter l’Alliance atlantique. Il a aussi anticipé une « Europe de   l’Atlantique à l’Oural » lorsque la Russie serait sortie du communisme. Tant que l’URSS restait la menace principale, la France devait rester dans l’Alliance atlantique, mais sans intégration militaire dans l’OTAN, et en préservant l’indépendance et la souveraineté de la France, notamment avec l’arme nucléaire. Quand il l’estimait nécessaire, il pratiquait aussi l’équilibre entre États-Unis et URSS, pour élargir la marge de manœuvre de la France.

[xvi] Le réflexe de la Russie est de chercher à rétablir un meilleur équilibre stratégique avec les États-Unis sur le théâtre mondial et en Europe. La Russie privilégie donc la relation avec les États-Unis comme partenaire de négociation au détriment des États membres de l’UE, qui sont trop souvent divisés ou alignés et donc considérés comme partenaires négligeables.

[xvii] Les États-Unis se sont retirés unilatéralement du traité ABM (traité anti missiles balistiques) en 2002, du traité INF (traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire) en 2019 et font peser une grande incertitude sur le traité START (traitéde réduction des armes stratégiques) qui expire en 2021.    

[xviii] Il serait utile de dépasser les fractures issues de la guerre froide qui entravent la marche vers la stabilisation continentale, étape préalable nécessaire à une alliance européenne qui pèse dans les équilibres mondiaux. Faire face de manière commune aux déstabilisations qui se propagent dans l’arc de tensions de l’Atlantique à l’Asie centrale et sur le flanc oriental de l’UE est nécessaire. La sécurité européenne et celle de la Russie, des pays du Caucase, et l’Asie centrale sont affectées de manière semblable. Car la déstabilisation de l’Asie centrale, talon d’Achille de la stabilité du continent eurasien, à commencer par la question afghane et les débordements issus des révolutions dans les pays arabes, est de nature à créer des tensions graves avec la Russie mais aussi avec la Chine.

[xix] Dans le voisinage européen en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, aucun conflit ne peut raison durablement trouver un issue positive sans le concourt de la Russie comme le différend avec l’Iran et son programme atomique, la désintégration de la Libye, le conflit en Syrie, la lutte contre l’État islamique et la coopération en matière de terrorisme, en Afghanistan ainsi que la stabilité de toute l’Asie centrale. 

[xx] Cette crise devrait aussi être l’occasion pour réformer le projet européen basé sur les paradigmes pour grande une part obsolètes de l’UE, c’est à dire la mondialisation libérale qui implique la société ouverte, le sans-frontières, l’immigration de masse. La coopération européenne est nécessaire, mais sur des bases différentes de l’idéologie d’intégration, qui en réalité n’a pas beaucoup fait progresser la solidarité européenne. L’enjeu serait désormais la redécouverte de la solidarité entre citoyens et nations, la notion de souveraineté, la maîtrise du territoire, le contrôle des frontières, le resserrement géographique (produire, travailler et consommer local dans la mesure du possible, ce qui implique un protectionnisme intelligent et la renationalisation de certains domaines stratégiques), le rôle central de l’État, de la nation et les alliances internationales plus équilibrées.

[xxi] Cette crise devrait aussi être l’occasion pour réformer le projet européen basé sur les paradigmes pour grande une part obsolètes de l’UE, c’est à dire la mondialisation libérale qui implique la société ouverte, le sans-frontières, l’immigration de masse. La coopération européenne est nécessaire, mais sur des bases différentes de l’idéologie d’intégration, qui en réalité n’a pas beaucoup fait progresser la solidarité européenne. L’enjeu serait désormais la redécouverte de la solidarité entre citoyens et nations, la notion de souveraineté, la maîtrise du territoire, le contrôle des frontières, le resserrement géographique (produire, travailler et consommer local dans la mesure du possible, ce qui implique un protectionnisme intelligent et la renationalisation de certains domaines stratégiques), le rôle central de l’État, de la nation et les alliances internationales plus équilibrées.

[xxii] L’équilibre géopolitique franco-allemand qui était la condition de base de l’approfondissement du projet européen s’est modifié. Les gouvernements des deux nations, pour leur propre sécurité et épanouissement national ont cherché la configuration géopolitique dans laquelle ils occuperaient une position géographique au milieu d’un ensemble politiquement structuré pour être entourés d’alliés et non plus d’ennemis. Occuper une position idéale au milieu provoque une rivalité franco-allemande car ils cherchent tous deux à conserver cet avantage.  Pour les Allemands, le milieu, initialement un traumatisme dans l’histoire allemande devient un centre intégrateur stable qu’il s’agit de conserver, et pour les Français, une charnière-pivot, un carrefour à partir duquel les Français peuvent projeter leurs ambitions de puissance selon différentes enveloppes géopolitiques. Ce milieu ne peut pas coïncider puisqu’il n’y a pas de fusion franco-allemande et que les représentations géopolitiques nationales qui déterminent la configuration géopolitique idéale de chacun ne coïncident pas. Elles rivalisent dans le projet européen. La position géographique des deux pays est évidemment décalée, avec pour conséquence que le milieu des Allemands est différent de celui des Français.

[xxiii] https://www.ft.com/content/dfcee508-51dc-4a10-9e77-17c40efe2458

[xxiv] On a donc deux camps qui se font face, à l’image de la crise de l’Euro en 2010 : France, Italie, Espagne, Portugal, Irlande, Grèce, Belgique, Luxembourg, Slovénie qui plaident pour plus de solidarité (et moins de contreparties en termes de réformes structurelles) et ceux qui sont opposés à plus d’aides (mais veulent aussi plus de contreparties) l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande, le Danemark. Les pays d’Europe centrale et orientale estiment aussi être lésés par le projet de plan de relance de la commission européenne au profit des pays du Sud de l’UE

[xxv] C’est pour cette raison que le montant du plan de relance européen reste relativement modeste vis à vis du PIB de l’UE et ne transforme pas non plus l’UE en « Union de transferts » redouté par les Allemands. Il est de plus temporaire et lié à la crise actuelle. Le budget de l’UE à long terme renforcé pour la période 2021-2027 s’élèverait à 1 100 milliards d’euros, le nouvel instrument de relance  Next Generation EUserait doté d’un budget de 750 milliards d’euros, pour permettre d’augmenter le budget de l’Union grâce à de nouveaux financements levés sur les marchés financiers pour la période 2021-2024.  Le PIB de l’UE était de 15 908 milliards d’euros en 2018. L’Allemagne a un PIB/an de 3 130 milliards d’euros, suivi par la France avec 2 157 milliards d’euros, l’Italie 1 793 milliards d’euros, et l’Espagne 1 313 milliards d’euros.

[xxvi] Dans cette perspective, le risque est que la France et  les  pays du Sud  se satisfassent de  liquidités temporaires et l’augmentation de l’endettement sans investir dans le secteur productif et  continuent d’ arroser la société sur des politiques d’achat de paix sociale, de politiques sociétales à la mode et  une administration pléthorique et inefficace. Avec l’argent facile, les pays du sud risquent de ne pas se réformer en profondeur et voir en même temps diminuer  leur souveraineté vis à vis de l’UE, des marchés financiers, vis à vis de la BCE. On reporte sur les générations futures les problèmes et  les décisions plus difficiles.

[xxvii] https://www.capital.fr/economie-politique/economie-lallemagne-risque-de-releguer-la-france-en-deuxieme-division-1371881

[xxviii] La commission  européenne va  redistribuer ces fonds en fonction de ses priorités, décidées par les États, comme l’environnement (le pacte vert), le social (une relance juste et inclusive) et la résilience avec notamment la santé. Mais comment peut construire un  politique énergétique commune en lien avec l’environnement si l’Allemagne a abandonné le nucléaire ? Va-t-on construire plus d’éoliennes à l’efficacité douteuse mais destructrices pour le paysage et importer  des panneaux solaires fabriqués avec des terres rares chinoises? Il est aussi à prévoir que les dépenses dans le  social vont aussi être canalisées sur la question de l’intégration des migrants et que l’Allemagne va à nouveau promouvoir un plan de redistribution obligatoire des migrants dans l’UE. La priorité au  numérique sans stratégie de souveraineté avec les données qui vont partir aux USA ne va pas renforcer l’autonomie stratégique des Européens. Les fonds dédiés aux projets de coopération en matière de défense auquel la France tient à cœur seront aussi réduits, affaiblissant le projet d’autonomie stratégique de l’UE.

Le plan de relance européen cherche en réalité à préserver une UE ouverte aux flux et aux frontières ouvertes,  sans réelle politique industrielle ni relocalisation mais accompagné de conditionnalités de réformes puisque le plan est adossé au cadre financier multi-annuel de l’UE (2021 2027), donc sous supervision de la commission européenne.

[xxix] Les ressources propres proposées par la commission dans son plan de relance seront difficilement acceptées lors de négociations  (et ce n’est pas souhaitable car il y aurait moins de contrôle des États sur le système UE ).

[xxx] La France contribuerait pour 130.3 milliards recevrait potentiellement  78.0 milliards et  donc perdrait 52.3 milliards  

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?qid=1590742540196&uri=SWD%3A2020%3A98%3AFIN

[xxxi] Les pays d’Europe centrale et orientale refusent les quotas migratoires proposés le gouvernement allemand et qui sont aussi en faveur d’une Europe des nations et des États.