Plan de relance européen et torpillage du projet de renforcement de la zone euro comme centre de gravité géopolitique de l’UE
Le plan de relance de l’Union européenne pour faire face à la pandémie Covid-19 et le budget de l’UE post-Brexit ont fait l’objet d’un accord au conseil européen du 10_11 décembre 2020.
Un élément pourtant entièrement escamoté par les médias en raison de la communication politique des Etats membres mais aussi de la commission européenne à l’occasion du plan de relance de l’Union européenne fût le torpillage du projet de budget de la zone euro[i], c’est à dire l’arrêt du processus d’autonomisation de la zone euro par rapport à la grande Europe des 27.
Le projet de budget de la zone euro auquel tenaient les gouvernements successifs de la France depuis l’introduction de l’euro a disparu et c’est un plan de relance au niveau de l ‘UE des 27, priorité de l’Allemagne qui s’est s’imposé.
Il faut rappeler l’enjeu initial. Le renforcement de la zone euro était central pour la France et notamment pour le président français Emmanuel Macron dans le cadre de ses propositions européennes au début de son mandat, détaillées lors de son discours à la Sorbonne[ii]. Son objectif était de faire émerger un gouvernement économique de la zone euro avec un budget spécifique, et même un parlement. Un budget anémique de la zone euro avait fini par être accepté par l’Allemagne au sommet franco-allemand de Mesenberg en 2019[iii].
Avec la disparition complète du projet de budget de la zone euro à l’occasion du lancement du plan de relance de l’UE, cette élément central des revendications françaises n’a visiblement plus été défendu par la présidence d’Emmanuel Macron.
La solution traditionnelle pour la France était de défendre une plus grande intégration de l’union économique et monétaire pour espérer contrebalancer l’Allemagne, par plus d’Europe.
Avec la disparition du projet de budget de la zone euro, l’Allemagne évite de voir la zone euro émerger comme le centre du pouvoir de l’UE, revendication française de longue date, et l’Allemagne, au centre géographique de l’UE se maintien au centre de gravité géopolitique à l’échelle de l’UE des 27. Il faut se rappeler que la crise de l’euro en 2010-2012 fut aussi l’occasion d’une différence d’appréciation sur l’échelle de gestion de la crise de l’euro (voir carte : la dimension géopolitique de la crise de l’Euro). Sa dimension géopolitique s’était révélée avec la question du centre de gravité géopolitique européen : alors que les Français privilégient la zone euro à dix-sept – c’est-à-dire vers le Sud – où ils ont plus de poids, les Allemands, eux, veulent l’Europe à vingt-sept s’étendant vers le Nord et l’Est, où ses alliés sont plus nombreux. La France partage avec la plupart des pays du Sud un déficit commercial avec l’Allemagne, et ne réussit à combler partiellement son déficit commercial qu’avec les pays du Sud. Les Français insistent donc pour faire de la zone euro le centre de gravité du gouvernement économique européen. En revanche, selon la représentation de l’Allemagne au centre de l’Europe, la stratégie allemande est donc de contrer toute tentative de division de cet espace de stabilité et d’éviter de se couper de son flanc oriental et nordique. Sa préférence initiale d’un gouvernement économique européen à vingt-sept et non pas uniquement composé des membres de la zone euro reflète cette préoccupation.
Plusieurs décennies d’efforts de la diplomatie française depuis l’introduction de l’euro pour promouvoir la zone euro comme centre de gravité croissant du pouvoir au sein de l’UE, en concurrence avec l’Allemagne qui a toujours préféré l’échelle de l’UE à 28 (27 avec Brexit), ont donc été annihilés. Les présidents précédents, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient déjà échoué dans leur volonté de rééquilibrage géopolitique de l’Union européenne selon cette voie.
Le couple franco-allemand s’était pourtant repositionné au centre du pouvoir de l’UE grâce à son plan franco-allemand qui a inspiré la commission européenne pour bâtir ses propositions. Toutefois, afin d’apparaître comme l’inspiratrice du plan de relance, le prix pour la France est très lourd avec les concessions faites à l’Allemagne. Ce faisant, elle maintient le couple franco-allemand au centre du pouvoir dans l’UE mais la relation franco-allemande devient de plus en plus asymétrique en faveur de l’Allemagne.
Autant la France et l’Allemagne sont en position de charnière en Europe et forment l’axe majeur de l’UE, autant un rééquilibrage est nécessaire pour élargir la marge de manœuvre de la France. La volonté Emmanuel Macron de rééquilibrer la relation franco-allemande a échoué et c’est en réalité une accentuation du déséquilibre en faveur de l’Allemagne qui a été acté avec ce plan de relance. La fonction du « couple franco-allemand » est de servir d’outil de pouvoir, de charnière irremplaçable dans l’UE. Sa fonction plus implicite est de masquer le déséquilibre franco-allemand au profit de l’Allemagne. L’Allemagne minimise ainsi son rôle de puissance centrale, et la France donne l’illusion de la parité. Derrière l’accord sue le plan de relance de l’UE, les finalités européennes, sous espace de la mondialisation ouverte aux flux, vision privilégiée par l’Allemagne, ou une Europe puissance destinée à faire contrepoids aux autres puissances, vision privilégié par la France, divergent entre les deux pays. Avec la crise actuelle, rien n’a changé.
[i] https://luxtimes.lu/european-union/40835-the-quiet-demise-of-the-eurozone-budget
[ii] Dans le programme électoral d’Emmanuel Macron: https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/europe et son discours de la Sorbonne : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique
[iii] Un budget de la zone euro, avait finalement été approuvé au sommet franco-allemand de Mesenberg par les Allemands, initialement hostiles à cette question. Les contours de ce budget ont été présenté à Bruxelles le 19 novembre. Or, contrairement aux souhaits d’Emmanuel Macron qui voulait un budget en dehors de l’UE, celui-ci avait été intégré au budget pluriannuel de l’Union européenne. Il avait été décidé qu’il serait de plus supervisé par la Commission européenne, et donc très influencé par les conceptions allemandes ordo-libérales. Le montant du budget de la zone euro aurait été trop insignifiant pour être structurant et sa mise en œuvre avait été repoussée en 2021, et largement conditionnée par les exigences allemandes, inscrites dans les priorités du budget de l’UE (2021-2027). Ce compromis avait déjà rencontré l’opposition des Pays-Bas et des pays nordique de l’UE, renforçant les incertitudes sur le projet.