Chroniques du Grand Jeu franco-allemand. L’Accord provisoire pour une coalition de gouvernement en Allemagne : la lutte pour le pouvoir dans l’UE entre l’Allemagne et la France relancée !
Un accord de principe a été trouvé pour entamer des négociations afin de former une coalition de gouvernement. Le document[note id=1] doit encore être approuvé par les bases respectives des partis SPD et CDU/CSU, et un traité de coalition devrait ensuite être finalisé d’ici avril prochain, si les étapes précédentes, et ce n’est pas garanti, aboutissent.
Le document annonce un « nouveau départ » pour l’Europe, et la coopération franco-allemande comme moteur de cette relance fait l’objet d’une attention particulière. La proposition du président français Emmanuel Macron d’élaboration d’un nouveau traité de l’Elysée est reprise dans le texte.
Il n’y a pourtant rien de réellement nouveau dans les propositions, mais une reprise prudente des idées issues des débats précédents. Le « nouveau départ » reste donc un élément de langage pour la communication politique. La future coalition donne toutefois un début de réponse aux propositions du président français Emmanuel Macron et répond positivement à un projet de relance du projet européen. L’Europe des Allemands et l’Europe des Français reste néanmoins différente.
Il n’est évidemment pas question d’une Europe fédérale comme Martin Schulz l’avait proposé en décembre 2016. Il est aussi souligné que des positions communes franco-allemandes sont nécessaires, mais lorsque l’UE à 27 n’est pas capable d’agir, montrant clairement la priorité des Allemands à l’UE et non pas un « G2 » franco-allemand.
Les Allemands mettent en avant dans ce texte leur représentation géopolitique d’une « Europe puissance de paix » (Friedensmacht) qui doit donner son sens à la politique étrangère et de sécurité commune européenne. Ils réaffirment le principe de la priorité de la politique sur les moyens militaires, le maintien de la paix, la désescalade et la prévention civile des crises. Cette vision reste en décalage avec celle d’une « Europe puissance » mise en avant par les Français. Le texte appelle pourtant au renforcement de la coopération en matière de politique de sécurité et de défense et la coopération structurée permanente (PESCO). La réaffirmation de la représentation de l’Europe comme une « puissance civile » chère aux sociaux démocrates (SPD), est de nature à relativiser la relance récente avec la France de l’Europe de la défense.
En ce qui concerne, la zone euro, les propositions allemandes sont aussi très en deçà de celles d’Emmanuel Macron. Une ligne budgétaire spécifique est proposée pour les réformes de structures, mais il n’est pas précisé dans le document si elle fera partie du budget de l’UE ou d’un nouveau budget externe. Martin Schulz a clairement donné sa préférence pour une ligne budgétaire issue du budget de l’Union européenne[note id=2]. Une ouverture propose que ce budget puisse éventuellement se transformer à l’avenir en fond d’investissement pour la zone euro. Il n’y a donc pas à ce stade de budget spécifique de la zone euro. Il n’y est donc pas fait logiquement mention non plus de parlement de la zone euro, ni de ministre de la zone euro.
Les propositions penchent donc plutôt vers celles de la Commission européenne, mais avec encore moins d’ambition. A la différence d’Emmanuel Macron qui proposait un budget spécifique de la zone euro, Jean-Claude Juncker, qui s’était fait le porte-voix des préférences allemandes, avait proposé un fond spécifique issu du budget de l’UE et non pas un budget spécifique pour la zone euro.
Les Allemands, s’ils acceptent de créer des moyens budgétaires spécifiques, vont évidemment chercher à les orienter avant tout vers leurs propres priorités, c’est à dire les réformes structurelles. Ils font parallèlement des concessions pour l’instant hypothétiques, comme l’évolution vers un fond d’investissement futur pour la zone euro, dont le montant reste à négocier.
On reconnait les priorités allemands classiques, de privilégier les réformes de structures de ses partenaires avant de consentir à des investissements.
Dans ce texte, il n’y a donc pas de concessions majeures, faites à Emmanuel Macron, outre le fait d’accepter une négociation. Il s’agit d’une position de négociation pour réimposer les priorités ordo-libérales allemandes. Le texte de la coalition souligne ainsi sans ambiguïté que le modèle de société et les valeurs de l’UE sont liées à l’économie sociale de marché, c’est à dire son propre modèle. Il faudra examiner à l’issue de ces négociations, si elles aboutissent, le poids et l’importance réelle de la ligne budgétaire spécifique pour la zone euro. Une formule institutionnelle créative mais sans contenu tangible pourrait permettre à Emmanuel Macron de s’en satisfaire pour des raisons de communication politique, mais renforcerait au final le poids de l’Allemagne.
Il est aussi proposé dans le texte de transformer le mécanisme européen de stabilité (MES) en fond monétaire européen avec contrôle parlementaire et inséré dans le droit de l’UE. L’utilisation des fonds resterait à n’en pas douter donc étroitement contrôlé par le parlement allemand, mais aussi le parlement européen. Cela entraînerait une complexification des procédures d’utilisation du fond. Le changement de traité requis pour sa « communautarisation » annonce des négociations et un processus de ratification difficile dans le cas d’une avancée sur ce sujet.
De plus, s’ils acceptent d’augmenter leur part au budget européen comme il est indiqué à ce stade, les Allemands pourront mieux imposer leurs priorités, et obligeront la France à faire de même, tandis que le gain de pouvoir ira aux Allemands car la contribution allemande sera toujours la plus forte.
Les Allemands ne se laisseront pas aisément entrainer vers une Union de transfert financiers, (Transferunion) et c’est pour cela qu’il n’y aura pas de solidarité financière qui entraînerait une processus de renflouement automatique pour un État en difficulté sur le plan financier. Les craintes par rapport à la réforme de la zone euro dans les médias Allemands et Français sont souvent opposées : les Allemands craignent une dérive de l’UE vers une Europe des transferts financiers en leur défaveur vers les pays du Sud de l’Europe, tandis que les Français craignent la poursuite de la rigueur financière et souhaitent que l’Allemagne investisse plus dans les pays du Sud, et procède à des transfert financiers importants pour soutenir les États en difficulté.[note id=3]
Le signal d’ouverture dans le compromis temporaire de coalition pour des négociations à propos d’une solidarité accrue à l’avenir révèle plus probablement un aspect tactique. Les autres membres de la zone euro attachés à l’orthodoxie libérale pourraient freiner les négociations en évitant aux Allemands d’être accusé de refuser cette solidarité financière. En ce qui concerne le MES, les modifications doivent être décidé à l’unanimité. Les États de l’UE qui ne sont pas membres de la zone euro soutiendront la préférence allemande et bloqueraient un projet de budget de la zone euro, en évitant aux Allemands qui sont réticents à une UE à géométrie variable, d’apparaitre comme un frein aux propositions.
Le texte souligne aussi que l’Europe doit mieux prendre son destin en main, mais cela suppose un rapprochement entre l’Allemagne et la France, mais aussi avec les autres États-membres à propos des finalités du projet européen.
A la lecture de ce compromis de coalition temporaire et précaire, les enjeux géopolitiques franco-allemands restent les mêmes. Les finalités européennes restent divergentes entre l’Allemagne et la France. L’Allemagne au centre géopolitique de l’UE veut éviter la division de l’UE, d’ou sa réticence à une autonomisation de la zone euro pour éviter de se couper de son flanc oriental, tandis que la France cherche à approfondir la zone euro, pour équilibrer le poids de l’Allemagne. (voir carte : Le couple franco-allemand et la dimension géopolitique de la crise de l’euro).
Si le président français ne rétablit pas la balance par une position très ferme en faveur de sa vision lors de négociations qui s’annoncent, on peut s’attendre à des compromis précaires et asymétriques. L’Allemagne fera pencher la balance en faveur de sa vision, tandis la France se contentera de mesures déclaratoires pour montrer l’image d’un couple équilibré en termes de communication politique, même s’il est géopolitiquement déséquilibré en faveur de l’Allemagne.
A la différence d’un « nouveau départ pour l’Europe », ce texte de compromis du projet de coalition allemande annonce en réalité les prémisses d’une relance de la rivalité de pouvoir entre la France et l’Allemagne, mais aussi entre l’axe franco-allemand et les autres membres de l’UE, parallèlement à la tentative de l’axe franco-allemand de se placer à nouveau au sommet de la hiérarchie du pouvoir au sein de l’UE.