France-Italie : une relation au potentiel géopolitique négligé dans une Union européenne en voie de multipolarisation
La France et l’Italie sont deux nations cousines mais aussi rivales au cours de l’histoire européenne. Pour comprendre les facteurs qui déterminent largement la relation franco-italienne dans le cadre du projet européen, il faut revenir aux fondamentaux de l’histoire et de la géographie.
Lorsque l’on regarde une carte de l’Union européenne, la relation franco-allemande est en position de charnière entre les différents espaces géographiques, et donc pour ces raisons géographiques mais aussi historiques, il n’y a pas pour l’instant d’alternative crédible à cet axe franco-allemand, tant que l’on reste dans le paradigme d’une intégration européenne toujours plus étroite. La France est un pays charnière dans l’Union européenne entre le nord, le centre de l’Europe et la Méditerranée tandis que l’Italie est un pays charnière entre l’Europe centrale, la Méditerranée et les Balkans.
Cette position géographique a permit à la relation franco-allemande de se positionner au sommet de la pyramide du pouvoir dans le projet européen, et la relation entre l’Italie et la France lui était en quelque sorte subordonnée.
Le couple franco-allemand, outre son image d’unité, a détenu jusqu’à aujourd’hui un rôle de pivot irremplaçable entre l’Europe du Nord et du Sud en raison de leur poids économique, démographique et politique et de leur position géographique entre les différentes composantes de l’Europe telles que l’Europe du Nord et du Sud, la Méditerranée et l’Europe centrale, l’Europe latine, germanique et slave. Ainsi, les compromis bilatéraux préalables, comme synthèse équilibrée à échelle réduite, étaient la condition nécessaire pour des compromis à l’échelle de l’Union européenne. Ce sont donc les divergences initiales franco-allemandes qui ouvraient aux compromis européens. En général, mais pas toujours, l’Allemagne représentait les pays du Nord, l’Europe centrale et orientale, tandis que la France représentait les pays méditerranéens dont l’Italie. Le binôme franco-allemand fonctionnait comme une force centripète lorsqu’il s’accordait pour s’opposer aux forces centrifuges dans l’Union européenne. La relation franco-italienne a donc été utilisée comme une pièce nécessaire permettant de faire fonctionner ce moteur franco-allemand, car la France aurait plus de mal à équilibrer l’Allemagne sans l’Italie. Toutefois, ce moteur géopolitique franco-allemand a de plus en plus de mal à avancer, en raison de la nouvelle rivalité géopolitique franco-allemande depuis l’unification allemande et l’élargissement à l’Est qui a déplacé le centre de gravité de l’UE vers l’Allemagne. Le couple franco-allemand est devenu un instrument qui masque l’asymétrie géopolitique entre la France et l’Allemagne. C’est pour cette raison que les crises s’accumulent dans l’UE. Aucune d’entre elles ne peuvent être résolues mais font l’objet de compromis précaires et temporaires en raison des désaccords croissants .
Depuis l’Unification allemande et l’élargissement de l’UE à l’Est et aux Balkans, l’Allemagne est la puissance centrale et le relation franco-allemande et la relation germano-italienne restent prioritaires tant pour les Français que pour les Italiens. Tout en étant secondaire par rapport à l’Allemagne, la relation franco-italienne a en plus été considérée comme une relation plus périphérique et asymétrique par la France.
Toutefois, la configuration géopolitique se modifie et l’UE est en voie de fragmentation avec le Brexit, les désaccords Est-Ouest sur la crise migratoire, la crise Nord Sud avec la crise de l’Euro, les rivalités en ce qui concerne les priorités géopolitiques dans le voisinage, Nord ou Sud, et les relations avec la Russie et les Etats-Unis. L’UE, traversée par des fractures croissantes à l’image du monde, est sur la voie d’une multipolarisation.
C’est dans ce contexte que la relation franco-italienne révèle un potentiel encore insuffisamment exploité, car un axe méditerranéen serait utile pour un meilleur équilibre. Tant que le mythe du couple franco-allemand équilibré reste dominant en France et freine l’ouverture vers d’autres alliances, la relation franco-italienne aura du mal à s’engager sur cette voie.
Le préalable est que la France ne considère plus sa priorité au couple franco-allemand comme absolue, que l’Italie ne soit plus un partenaire secondaire destiné à s’aligner sur les priorités françaises, mais aussi que l’Italie clarifie ses priorités géopolitiques et évite de surtout se focaliser sur les questions économiques. Un axe franco-italien devrait identifier ses intérêts communs propres et non pas dans l’optique de renforcer leurs relations respectives vis à vis de l’Allemagne ou des Etats-Unis.
Le poids de l’histoire
Un retour dans l’histoire est utile pour mieux comprendre la relation franco-italienne. Un rappel des objectifs de la France à propos de la construction européenne est aussi nécessaire.
La politique européenne de la France est avant tout une politique allemande. L’objectif principal de la France est d’obtenir un équilibre géopolitique avec l’Allemagne.
Jean Monnet avait pour priorité de faire l’Europe autour d’un axe franco-allemand même si le processus d’intégration fût conçu pour six pays. L’association de l’Italie, de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg à sa proposition de coopération franco-allemande ne fut ajoutée que le soir du jour où Jean Monnet a élaboré sa proposition, qui devait devenir le plan Schuman, à partir de l’idée initiale d’un noyau central franco-allemand destiné à ouvrir la voie vers une Europe fédérale.[i] Le processus d’intégration des six était donc destiné à venir renforcer le cœur franco-allemand.
Il en découle que l’Italie est certes membre fondateur du projet européen, mais l’Italie a été ajoutée au projet de Monnet, comme faire-valoir pour la France. Le contexte géopolitique, l’ idée d’un équilibre franco-allemand reste primordial et l’Italie est donc le partenaire qui doit permettre à la France d’atteindre son objectif géopolitique principal, un équilibre géopolitique plus favorable. La relation franco-italienne est donc asymétrique car la perception de la menace était focalisée sur l’Allemagne et non pas l’Italie.
Pour la France, le projet européen est donc une caisse de résonance de la puissance française, tandis que pour l’Italie, le projet européen est avant tout un instrument de modernisation. Il s’agissait aussi pour l’Italie de dépasser le cadre de l’Etat-nation, fonder l’Europe fédérale, et tourner le dos au fascisme.
De 1958 à 1963, la présidence du général de Gaulle en France a aussi fait émerger deux conceptions différentes du projet européen en France, et renforcé le tropisme franco-allemand. L’Italie était plus proche de la conception fédéraliste de l’Europe des pères fondateurs qui est née sous l’impulsion des Schuman, Monnet, Adenauer, de Gasperi. Mis à part Monnet, ils étaient originaires du monde germanique, car Schuman fut un député du Reich allemand qui avait annexé l’Alsace -Lorraine, de Gasperi était un député de l’empire austro-hongrois, et Adenauer venait de Frankfort. La différence de conception du projet européen depuis la vision du général de Gaulle n’était pas partagée pas les Italiens et a constitué un obstacle pour former un axe franco-italien plus substantiel dans le projet européen.
Toutefois, il existe des convergences géopolitiques entre la France et l’Italie, tant pour les questions économiques et monétaires, que pour les questions de sécurité, mais sans jamais non plus écarter les rivalités entre les deux pays.
L’union économique et monétaire : le triangle franco-germano-italien entre Europe latine et germanique
Au niveau de l’Union économique et monétaire, l’Italie est perçue comme un allié à enrôler pour chercher un meilleur équilibre vis à vis de l’Allemagne, mais aussi un risque si l’économie italienne se dégrade et entraîne la France dans sa chute.
Dans le processus d’union économique et monétaire, l’importance des pays du Sud pour la France dans sa balance commerciale a poussé son gouvernement à exiger l’inclusion de l’Italie et de l’Espagne dans la zone euro et de les y maintenir, pour éviter des dévaluations monétaires compétitives sur ces marchés d’importance et contrebalancer le poids de l’Allemagne et des pays du Nord. Mais lors de la crise de l’euro en 2010, en raison de l’exposition des banques, en particulier celles de la France et l’Allemagne, l’éventualité d’un défaut de paiement de l’État grec a menacé l’ensemble de la zone euro. Les participations croisées et l’interdépendance[ii] du système bancaire a fait craindre un effet domino, transformant les difficultés des États du Sud de l’Europe en menace systémique. La Grèce, qui ne représentait que 2,15 % du PIB de l’Eurogroupe, n’est pas en mesure à elle seule de déstabiliser le système bancaire par un défaut de paiement. La contagion à l’Espagne ou à l’Italie pourrait par contre largement dépasser les capacités financières de soutien de la zone euro[iii].
L’Italie comme la France souhaite participer pleinement au débat sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, d’autant plus que les gouvernements italiens successifs estiment jusqu’à présent que l’euro est vital pour l’économie italienne. Elle plaide ainsi pour un renforcement de la zone euro, avec la mise en place d’un véritable budget, la création d’un mécanisme d’assurance-chômage à l’échelle européenne et la transformation du Mécanisme européen de stabilité en véritable Fonds monétaire international comme la France. La France l’inscrit pourtant dans sa vision d’équilibre géopolitique et géoéconomique avec l’Allemagne tandis que l’Italie s »inquiète moins de la domination allemande, et voit l’intégration économique comme un facteur de modernisation. Mais la situation évolue à la lumière des dernières élections, et une partie de la population a manifesté son désaccord à propos de la politique la rigueur de l’UE prônée par l’Allemagne.
Les Français, depuis la création de l’euro jusqu’aux plans européens d’Emmanuel Macron, cherchent à chapeauter la zone euro d’un gouvernement économique afin de contrebalancer la domination de l’Allemagne au niveau de l’UE des 28, bientôt 27. La France a besoin de l’Italie et des pays du Sud pour réaliser cet objectif.
Le gouvernement économique européen, dans sa nouvelle version à l’échelle de la zone euro dépasse donc le centre de pouvoir potentiel. S’il montait en puissance, il permettrait au gouvernement français de rassembler autour de lui les gouvernements des grands pays du Sud, Espagne et Italie, les petits pays méditerranéens comme la Grèce, Malte, Chypre, et la Slovénie, mais aussi le Portugal. La Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas, la Finlande,l’Estonie, la Lituanie et la Lettonie, pays du Nord, et la Slovaquie et l’Autriche, pays d’Europe centrale sont pas contre plus favorables à la vision allemande. Selon les représentations évoquées dans les débats médiatisés, l’équilibre[iv] serait en théorie plus favorable à la France vis-à-vis de l’Allemagne, pour renforcer sa stratégie de promotion de l’Europe de la solidarité, et de médiateur avec les pays du Sud en difficulté comme la Grèce. La France partage avec la plupart des pays de ce cercle, un déficit commercial avec l’Allemagne, mais ne réussit à combler partiellement son déficit commercial qu’avec les pays du Sud..La France a en commun avec la plupart des pays de la zone euro, une dette et un déficit importants.
Toutefois, les plans européens d’Emmanuel Macron ne sont pas partagés par la nouvelle coalition allemande. Le président français a pourtant choisi de convaincre Angela Merkel en portant le couple franco-allemand à nouveau au sommet de la hiérarchie de l’UE, sans faire une alliance préalable avec les pays qui partagent son approche sur les grandes lignes comme l’Italie. Sans doute la tentative de François Hollande de faire un front latin face à l’Allemagne au débat de son mandat en 2012, et son échec, reste dans les esprits. Encore une fois, la France accorde au couple franco-allemand la priorité, alors qu’il est attendu que les plans européens de Macron vont échouer, et qu’il faudra se positionner autrement. Une réévaluation de la relation avec l’Allemagne, voire une crise franco-allemande après l’échec, fera peut-être entrevoir une ouverture pour un renforcement de la relation franco-italienne. Modifier le modèle économique européen pour mieux l’adapter aux économies des pays méditerranéens et latins sera nécessaire.
La relation franco-italienne et la défense et sécurité: entre euro-atlantisme et tropisme méditerranéen et africain
Alors que la France, bien que membre actif de l’alliance atlantique, a toujours cherché à préserver son indépendance notamment depuis la présidence de Charles de Gaulle, avec la possession de l’arme nucléaire, l’Italie s’est coulée dans l’intégration atlantique sous le parapluie nucléaire américain pendant la Guerre Froide, avec une posture en retrait après l’épisode Mussolinien. Des armes nucléaires tactiques de l’OTAN sont entreposées en Italie depuis 1957 et placées sous le mécanisme dit de double clé. L’emploi de ces armes est soumis à la double approbation des gouvernements américain et italien. C’est aussi le cas pour l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, la Turquie et la Norvège. L’Italie détient une position géographique très intéressante pour l’OTAN en Méditerranée, car son territoire est un porte-avions au milieu de la Méditerranée, d’où les nombreux Etats majors de l’Alliance basées sur son sol.
L’Italie défend ses intérêts nationaux au travers de l’Alliance atlantique qui lui permet un lien privilégié avec les Etats-Unis et ne partage pas comme la France une volonté d’indépendance nationale aussi marquée, comme puissance « mondiale » mais cherche à défendre ses intérêts de manière plus pragmatique. La France comme l’Italie privilégient la coopération avec les Etats-Unis, la relation franco-italienne est restée secondaire. Les incertitudes de la relation transatlantique depuis l’élection de Donald Trump est susceptible de faire évoluer la situation vers plus de coopération en matière de défense entre Européens et donc entre Italiens et Français. Toutefois, les projets actuels ne permettent pas encore de saut qualitatif.
L’objectif de la France a toujours été de renforcer la coopération en matière de défense au niveau européen, mais pour renforcer son propre pouvoir au sein du projet européen. Ses partenaires privilégiés en matière de défense ont été en Europe, le Royaume Uni et l’Allemagne, et l’Italie ne vient qu’après en termes de priorités.
Les Français et les Italiens sont pourtant en phase pour souligner l’importance stratégique de la zone sud de l’Union européenne, alors que à la suite des élargissements, son centre de gravité s’est déplacé vers l’est et le nord du continent. La politique méditerranéenne de l’Union européenne a pour ambition, selon la France et l’Italie, la mise en place d’un espace européen commun de sécurité et de prospérité partagée. Elle peine pourtant à se matérialiser, non seulement à cause de la crise que traverse ces pays depuis les révolutions arabes, mais aussi les rivalités entre Etats membres de l’UE et les erreurs stratégiques commises dans cette zone. A la différence des Italiens, qui ne cherchent pas à défendre une zone d’influence, pour les Français, la Méditerranée est un espace privilégié pour exercer une politique bilatérale qui répond à la vocation de la France comme puissance méditerranéenne dans un contexte de forte concurrence avec l’arrivée de nombreux acteurs, parmi lesquels les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Allemagne, et la menace islamiste,
Après la crise en Irak en 2003 ou l’Italie et la France étaient dans deux camps différents, une autre fissure franco-italienne date de l’opération Harmattan en Libye. L’épisode de la guerre en Libye en 2011 a ainsi montré que la rivalité franco-italienne pouvait resurgir très rapidement en Afrique du Nord, en prolongement des rivalités coloniales depuis le XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui en passant par les guerres coloniales de la France dans les années 50-60. Cette intervention militaire a sérieusement refroidi les relations franco-italiennes car le gouvernement français sous la présidence de Nicolas Sarkozy n’a pas tenu compte des intérêts italiens. L’intervention française en alliance avec les Britanniques et les États-Unis a déstabilisé la Libye qui a toujours fait partie de la zone d’intérêt italienne de la période coloniale à aujourd’hui. Mouammar Khadafi avait conclu des accords fructueux avec Silvio Berlusconi notamment pour contenir la pression migratoire et pour l’accès à l’énergie avec la compagnie pétrolière italienne ENI.
L’opération s’est révélée être une erreur stratégique avec la déstabilisation du Sahel, le pouvoir croissant des Islamistes, le renforcement de la fracture avec la Russie et la crise migratoire dont les flux entre l’Afrique et la Méditerranée utilisent le territoire libyen et son Etat failli comme tremplin pour traverser la Méditerranée vers l’Italie, après la fermeture de la route des Balkans. La guerre en Libye a durablement entraîné une perte de confiance de l’Italie vis à vis de la France.
Consciente des intérêts communs de sécurité, l’Italie participe pourtant aux opérations dans l’arc de crise sud au sud qui est prioritaire pour les Français. L’intervention de la France au Mali a reçu le soutien logistique de l’Italie. L’Italie a aussi décidé de réaffecter ses ressources militaires positionnées jusqu’à présent en Irak en soutien au G5 Sahel.
En ce qui concerne les relation avec la Russie, on note aussi des convergences importantes, mais qui n’ont pas pu se concrétiser en raison de la crise entre l’UE et la Russie depuis la crise Ukrainienne. La priorité accordée par la France au couple franco-allemand dans le processus de Minsk, qui est pourtant enlisé, est aussi un obstacle. L’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, forment dans le jargon Bruxellois « les amis de la Russie » et ont pour ligne de conduite d’éviter tout retour vers une nouvelle guerre froide. La Pologne, les Pays baltes, le Royaume-Uni et la République tchèque étaient en faveur d’une attitude plus ferme pour les sanctions internationales. mais depuis la crise en Ukraine, c’est l’Allemagne avec les États-Unis qui ont été en pointe pour sanctionner la Russie, tandis que la France et l’Italie, sont pour une désescalade, mais pas jusqu’au point de s’opposer frontalement aux États-Unis et à l’Allemagne. L’Italie et la France partagent un potentiel inexploité pour promouvoir un rapprochement avec la Russie afin d’éviter une fragmentation géopolitique supplémentaire en Europe.
Perspectives : La manœuvre stratégique entre deux arcs de crise
L’Italie, pays fondateur de l’Union, fait face à la primauté du couple franco-allemand, mais souhaiterait que la France s’engage plus dans un partenariat non pas basé sur une asymétrie géopolitique, mais une relation plus équilibrée. Pour cela, il faudrait que la France surmonte deux obstacles : un complexe d’infériorité vis à vis de l’Allemagne et un complexe de supériorité vis à vis de l’Italie.
On assiste à la suite de la crise de 2008 à un euroscepticisme croissant en Italie comme en France, mais les gouvernements français et italiens ont de plus en plus des rapports inversés par rapport au projet européen. En 1996, Romano Prodi, président du conseil italien exprimait le vœu de la formation d’un Etat européen[v] alors que la France était très attachée à l’Etat nation et opposée à une Europe fédérale. Aujourd’hui, alors que la méfiance envers l’UE n’a jamais été aussi importante en France, le président Emmanuel Macron arrivé au pouvoir après une campagne très atypique et controversée, est très européiste, tandis que le futur gouvernement italien sera probablement les plus eurosceptique que l’Italie ai connu. Dans l’avenir proche, on peut prévoir des tensions franco-italiennes.
La nation italienne est plus tardive et moins centralisée que la France, et le nord de l’Italie a une identité très différente du sud. Le nord de l’Italie, sous l’impulsion de la Lega Nord depuis sa victoire aux élections et la formation d’un gouvernement de coalition avec le mouvement 5 étoiles, est sur la trajectoire d’un rapprochement avec les idées des nations d’Europe centrale, héritières de l’empire austro-hongrois, notamment sur la question de la crise migratoire, à propos de la controverse vis à vis de la conception de l’État de droit et de la démocratie et sur la question d’un rapprochement avec la Russie pour les relations extérieures. L’Italie, depuis les élections de mars 2018, est donc désormais plus avancée que la France dans le processus d’éloignement vis à vis de l’Union européenne alors que la vision de l’Europe intégrée d’Emmanuel Macron semble de plus en plus isolée dans l’UE. L’échec de la relance de l’Europe sur les paradigmes obsolètes du XXème siècle va nécessairement mener à une controverse sur la finalité du projet européen. La rivalité franco-allemande sera beaucoup plus visible après l’échec de la stratégie du couple franco-allemand exclusif par un refus de l’Allemagne, mais aussi de ses alliés du nord de l’Europe, d’être entraînés par la France dans des réformes utopiques.
Une tendance croissante qui a démarré dans les années 2000 consiste en une multiplication et un enchevêtrement des différents axes et alliances internes à l’Union qui résultent d’un nombre de combinaisons d’alliances plus importantes depuis l’élargissement de l’Union européenne dans l’espace et le temps (fractures européennes différenciées face à la guerre en Irak, en Libye, Syrie, Iran, alliances différentes en ce qui concerne la crise de l’euro).
L’Europe des axes, des alliances instables, des stratégies de contrepoids, ou des resserrements temporaires en fonction des circonstances géopolitiques serait de retour en miroir du monde multicentré et instable qui émerge rapidement.
C’est dans ce contexte géopolitique en évolution que la relation franco-italienne recèle un potentiel encore inexploité après la prise de conscience de la crise des fondements du projet européen. Il serait judicieux de comprendre la relation franco-italienne comme une opportunité pour exploiter pleinement son potentiel au niveau bilatéral ou en coalition selon des alliances fluides, dans une Europe et un monde plus multipolaire afin d’œuvrer à une réforme fondamentale du projet européen. L’avenir réside dans une mutation du projet européen ancré sur une stratégie géopolitique et plus respectueux de ses caractéristiques civilisationnelles en préservant les nations et les identités régionales.
Dans le contexte géopolitique actuel, la menace principale pour l’Italie et la France, à la charnière entre Europe et Méditerranée, est la poursuite de la déstabilisation de l’arc de crise au sud de la Méditerranée du Maroc à l’Afghanistan, avec la menace islamiste, les Etats faillis et la crise migratoire. En Italie comme en France, les populations sont de plus en plus opposées à une politique migratoire laxiste, et il y aurait un potentiel de convergence à l’avenir. L’endiguement des vagues migratoires venant d’Afrique qui vont s’accélérer sera nécessaire.
Il serait judicieux pour l’Italie et la France d’engager une manœuvre géopolitique prioritaire en se rapprochant simultanément de la Russie pour faire face de manière commune à l’arc de crise au sud, afin de ne pas laisser l’Europe se faire enfermer entre deux arcs de crises, l’un à l’est avec la Russie, l’autre au sud de la Méditerranée, et être obligé de se disperser sur deux fronts. La relation avec la Russie est cruciale car l’Europe n’aura jamais ni la sécurité, ni l’accès privilégié à l’énergie sans une entente avec la Russie. Afin de concentrer les moyens, la relance de l’Union pour la Méditerranée, et la coopération au développement de l’Afrique doit passer par cette étape.
La clarification des relations transatlantiques en crise croissante et la relation avec le Royaume-Uni, notamment en matière de défense, sont aussi des défis à surmonter simultanément. Un positionnement vis à vis du projet Chinois des routes de la soie nécessiterait aussi une position commune.
[i] Jean Monnet, Mémoires
[ii] Les systèmes bancaires français et allemand ont pris avantage du marché unique et de la libéralisation des capitaux (première étape de l’Union économique et monétaire), et sont de ce fait très exposés dans les pays du Sud de l’Europe.
[iii] Le niveau d’endettement et le déficit de la France ont aussi fait craindre une contagion de la spéculation à la France selon un scénario catastrophe. Une non-intervention des pays de la zone euro pouvait ainsi faire craindre un effondrement en chaîne du système bancaire français et allemand à partir de la Grèce selon un effet domino.
[iv] Lors des tractations du plan de sauvetage final, l’Allemagne a été mise en minorité par une alliance des États de la zone euro favorables aux propositions françaises, en particulier les pays méditerranéens menacés par la crise
[v] Entretien avec Romano Prodi, « La France en Question », Limes 1996