Géopolitique de l’attentat de Moscou
L’attentat de Moscou du 22 mars au Crocus City Hall qui a fait plus de 145 morts fait désormais l’objet d’une controverse croissante à propos des commanditaires, Moscou accusant Kiev tandis que Washington insiste sur un implication exclusive de l’Etat islamique qui a revendiqué l’attentat. Au delà de ces narratifs contradictoires, il est nécessaire de comprendre la signification géopolitique de cet acte terroriste dans le contexte des profondes rivalités géopolitiques entre Moscou, Kiev et ses soutiens occidentaux.
Il est avant tout nécessaire d’écarter la thèse d’une implication de Moscou dans l’organisation de ces attentats. Ce narratif a été avancé sans surprise par les idéologues néoconservateurs et ultra-atlantistes dont l’unique boussole est d’accuser la Russie quel que soit la configuration de la crise, à l’unisson avec le régime de Kiev du président Zelenski.
C’est évidemment un non-sens géopolitique. Quel serait l’intérêt pour Vladimir Poutine d’organiser un attentat contre son propre peuple alors qu’il vient de gagner les élections présidentielles avec un soutien énorme des citoyens Russes qui valident ses choix géopolitiques ? De plus la Russie gagne la guerre, non seulement sur le théâtre ukrainien contre le régime de Kiev soutenu par Washington et ses cobelligérants de l’OTAN, mais aussi en favorisant une mutation des alliances internationales à l’échelle mondiale vers plus de multipolarité et un réalignement des Etats en défaveur du camp occidentaliste avec l’élargissement des BRICS.
Première remarque concernant les responsabilités derrière cet attentat et la piste de l’Etat islamique au Khorasan (EI-K) en l’Afghanistan. L’implication de Washington dans la montée en puissance de l’EI en Afghanistan contre la Chine et la Russie est connue[i]. Washington a largement contribué à la déstabilisation de la zone au sud de l’Eurasie, dont les groupes islamistes ont des ramifications jusqu’au territoire russe en raison de l’immigration importante en provenance d’Asie centrale, d’autant plus que cela fait partie de ses objectif géopolitiques d’affaiblir la Chine et la Russie.
A l’échelle eurasienne, l’instrumentalisation simultanée de mercenaires islamistes et néonazis[ii] pour déstabiliser la Russie et créer un arc de crise de l’Asie centrale à l’Ukraine selon une manœuvre d’encerclement de la Russie par Washington, fait de Kiev ou de l’EI-K des supplétifs enrôlés pour le même objectif géopolitique (voir carte : la stratégie géopolitique des Etats-Unis contre la Russie). Kiev recrute ainsi depuis longtemps des islamistes pour son combat contre la Russie[iii], il y a donc un lien fort qui doit être exposé et élucidé.
A minima, Washington /Londres et leurs alliés proches de l’OTAN, qui ont créé ce terreau favorable, sont ainsi de facto coresponsables de ces attentats, y compris de manière indirecte. Rien de vraiment nouveau en fin de compte. Rappelons nous le soutien de la CIA, non seulement aux djihadistes afghans[iv] mais aussi aux bandéristes néonazis contre l’URSS pendant la guerre froide[v]. Souvenons nous aussi de la stratégie de tension de la CIA, soupçonnée d’organiser des attentats tuant des civils en Europe, toujours dans le contexte de la Guerre Froide.[vi]
Plus récemment, pour provoquer les changements de régimes en Ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye et la tentative en Syrie[vii], l’axe Washington/Londres et leurs alliés, ont soutenu des mouvements islamistes. Depuis 2014, les extrémistes ukrainiens se considérants comme les héritiers de Stepan Bandera mais aussi des mercenaires étrangers néonazis ont aussi servi de supplétifs pour les objectifs géopolitiques de Washington/Londres.
Avant même cet attentat, le régime de Kiev avait fait de l’Ukraine un Etat usant de méthodes terroristes. Il faut souligner que les services ukrainiens, le GUR et le SBU[viii] on été réformés et entrainées sous la houlette des services anglo-saxons, la CIA[ix] et le MI6. Dès le 26 mars, les services secrets russes ont accusé Kiev d’être impliqué dans l’attentat et Washington et Londres de l’avoir facilité.[x] Ce soupçon est étayé par des attentats précédents, comme l’attentat contre le pont de Kertsh reliant la Russie continentale à la Crimée revendiqué par les services ukrainiens[xi], mais aussi les attentats causant la mort de citoyens russes, Daria Douguine et Maxim Formin (Tatarsky). Le ministère des affaires étrangères russe a demandé l’extradition des personnes incriminées dans ces différents attentats, notamment le chef des services de sécurité ukrainien Vasily Malyuk.[xii]
Face à l’accusation frauduleuse d’une implication de Moscou dans ces attentats, parfaite illustration du complotisme autorisé, si l’on prend un angle géopolitique, c’est donc bien au contraire l’axe Washington/Londres/Kiev qui aurait intérêt à ouvrir un nouveau front sur le sol Russe à la suite d’un attentat attribué à l’Etat islamique (avec ou sans son concours direct) afin de détourner la Russie vers l’Asie centrale et contre le Sud Global (monde musulman), alors que la Russie gagne la guerre en Ukraine. L’objectif serait de créer une fracture croissante au sein de la société russe entre Russes ethniques orthodoxes et citoyens russes de confession musulmane. C’était déjà l’objectif des ennemis de la Russie, lors des guerres en Tchétchénie, pour endoctriner les Tatars musulmans et provoquer à plus long terme une fragmentation géopolitique du territoire russe sous le poids des revendications indépendantistes. Cet objectif reste d’actualité avec le soutien par certains réseaux politiques des Etats membres de l’OTAN et de l’UE et leurs agents d’influence qui agissent comme experts à des mouvements indépendantistes de manière explicite, terroristes compris, sur tout le territoire russe[xiii].
Il s’agirait aussi, selon la stratégie d’encerclement de la Russie, de favoriser sa sur-extension, doctrine explicitement invoqué par la Rand Corporation[xiv] afin qu’elle soit obligée de faire face à différents menaces, en Asie centrale en plus de l’Ukraine, d’où le recrutement de terroristes Tadjiks pour l’attentat de Moscou.
La piste de Kiev ou de cellules extrémistes plus autonomes est d’autant plus pertinente que l’on a remarqué l’insistance avec laquelle Washington a cherché à dédouaner Kiev pour privilégier exclusivement la piste de L’Etat islamique dès les premières heures après l’attentat, sans attendre une quelconque progression de l’enquête Cette attitude est très suspecte, d’autant plus que ce narratif est repris en boucle par les gouvernements cobelligérants qui soutiennent le régime de Kiev et les officines qui font la promotion des narratifs ultra-atlantistes.
Il ne faut pas non plus totalement exclure l’hypothèse d’une implication des services de Kiev ou d’extrémistes plus autonomes, mais hors contrôle direct de Washington qui estime qu’ils sont allés trop loin. D’où la déclaration sur l’intérêt commun américano-russe de lutter contre le terrorisme. Serait-ce un moyen pour Washington d’envisager une porte de sortie ?
Les conséquences de cet attentat sur l’évolution du conflit en Ukraine et de la crise mondiale qui lui associée est assez prévisible. Malgré le traumatisme, le peuple russe est extrêmement résilient et cette épreuve va renforcer sont soutien à son président dans son combat contre tous les ennemis de la Russie. Les citoyens russes ont bien remarqué que tous les grands monuments des capitales occidentales s’illuminaient des couleurs de tous les pays touchés par le terrorisme, sauf lorsqu’il s’agit de la Russie. Ils n’oublieront pas, mais ils savent aussi qu’il y a une grande différence entre les gouvernements vassalisés des capitales européennes qui ne représentent plus les peuples et de nombreux Européens et réseaux politiques souverainistes, notamment en France où la doctrine gaullienne est toujours d’actualité? Ces réseaux existent aussi en Allemagne et dans de nombreux Etats membres de l’UE qui aspirent à l’avenir à une relation apaisée, la coopération où même une alliance géopolitique avec la Russie.
La Russie n’abandonnera jamais ses objectifs géopolitiques et cette nouvelle agression va décupler sa volonté pour les atteindre.
L’Ukraine, territoire où affluent des extrémistes tant islamistes que néonazis et attirés par Kiev dans les brigades internationales, se transforme en base terroriste et constitue une menace croissante au centre de l’Europe, tant pour les Européens de l’Ouest que les Russes et les Ukrainiens. L’attentat de Moscou a aussi provoqué une tentative de reprise partielle des contacts avec Moscou, à la demande de Paris, notamment à propos de la nécessité de reprendre la coopération contre le terrorisme, mais probablement aussi sur la question ukrainienne[xv].
Pour la sécurité de tout le continent européen, il devient urgent de neutraliser la question Ukrainienne car le territoire contrôlé par le régime de Kiev devient le nouveau trou noir de la géopolitique européenne et mondiale.
[i] https://www.diploweb.com/Nouvelle-donne-en-Asie-centrale-l-Etat-islamique-face-a-l-Amou-Daria.html
[ii] https://www.thenation.com/article/archive/americas-collusion-with-neo-nazis/
[iii] https://www.revuemethode.org/m041916.html
[iv] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701
[v] https://mronline.org/2022/09/14/ukraine/
[vi] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110501.RUE2092/quand-l-otan-tuait-des-civils-en-europe-pour-lutter-contre-l-urss.html
[vii] https://cf2r.org/actualite/revelation-des-plans-secrets-de-la-cia-pour-la-destabilisation-de-la-syrie/
[viii] https://www.washingtonpost.com/world/2023/10/23/ukraine-cia-shadow-war-russia/
[ix] https://www.nytimes.com/2024/02/25/world/europe/cia-ukraine-intelligence-russia-war.html
[x] https://www.france24.com/fr/europe/20240326-les-services-secrets-russes-accusent-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilit%C3%A9-l-attentat-de-moscou
[xi] https://apnews.com/article/ukraine-russia-crimea-bridge-attack-ad96fa2012be846600b8c2c6481d9166
[xii] https://mid.ru/en/foreign_policy/international_safety/1941886/
[xiii] https://ecrgroup.eu/event/the_imperial_russia_conquer_genocide_colonisation
[xiv] https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html
[xv] https://mid.ru/en/foreign_policy/international_safety/1941886/