La réunification de Chypre : une négociation lourde de risques géopolitiques pour l’avenir de l’île et de la Méditerranée !
Depuis le conflit en 1974 qui opposé l'armée chypriote et la Turquie, le territoire de l'île est divisé en deux républiques : la République de Chypre (grecque) et la République turque de Chypre du Nord (depuis 1983) uniquement reconnue par la Turquie qui ne reconnait pas cependant la partie grecque. L 'invasion de Chypre par l'armée turque en 1974 a pris comme prétexte la tentative de réunification entre Chypre et la Grèce. Ce conflit aujourd'hui "gelé" est un héritage dans l'histoire longue de la confrontation entre la monde grec et le monde ottoman puis turc, et la ligne de fracture entre Chrétienté et Islam.
Avec la présence de troupes turques sur le territoire au nord de la République de Chypre, une portion du territoire de l'Union européenne est non seulement occupée de facto mais aussi de jure par une puissance extérieure. La posture de l'Union européenne et de ses états membres est pour le moins paradoxale en matière de relations extérieures et révèle ici un cas flagrant de "deux poids deux mesures étonnant": l'Union européenne sanctionne la Russie pour une soi-disant occupation illégale du territoire de l'Ukraine, état non membre de l'Union européenne, tandis que la Turquie, qui a reconnu unilatéralement la République turque de Chypre du Nord occupe militairement et illégalement le territoire d'un état membre de l'Union européenne mais ne subit pas de sanctions.
Le déficit de confiance envers la Turquie pour l'avenir de Chypre
Une nouvelle solution négociée sous l'égide de l'Union européenne afin de tenter une réunification de l'île va être proposée lors du printemps 2016. Cette nouvelle tentative devra être soumise à un référendum dans les deux républiques. le référendum sur la précédente tentative en 2004 a vu les plus des trois quarts des Grecs chypriotes se prononcer contre les modalités de la réunification tandis que les chypriotes Turcs ont voté pour. Au delà des discours des élites politiques, les citoyens de la partie chypriote grecque sont extrêmement ambivalents sur le nouveau processus. Ils craignent qu' un échec de la négociation puisse aboutir à la reconnaissance par les autres membres de l'Union européenne de la République turque de Chypre.
Une réunification de Chypre selon les modalités de la République de Chypre (grecque), en se réappropriant le territoire au nord du pays, serait logique du point de vue du droit, puisque la République turque de Chypre Nord n'est pas reconnue par la communauté internationale, excepté la Turquie, mais n'est évidemment pas possible en raison des rapports de force actuels.
Dans le cas d'un succès des négociations de réunification, les modalités sont importantes entre un système confédéral où se côtoieraient deux républiques séparées, ou un système plus fédéral avec un partage de souveraineté plus important. Les habitants craignent dans ce cas de figure, au delà des compromis difficiles sur la restitution des terres et habitations qui sera limitée, la coexistence à moyen et long terme avec un partenaire difficile parrainé par la Turquie dont la trajectoire s'éloigne de l'Europe. Pour de nombreux citoyens chypriotes grecs, la réunification mènerait à la disparition à plus long terme de la République de Chypre grecque, sous le poids de l'évolution défavorable des rapports de forces géopolitiques, notamment avec la facteur démographique, la crise migratoire en Europe et en Orient, la question religieuse avec l'Islam politique soutenue par le président turc Erdogan, la faiblesse de l'Union européenne face au chantage de la Turquie, et la complaisance des puissances occidentales face à la Turquie membre de l'OTAN, notamment les Etats-Unis.
Comment les Chypriotes peuvent t-il savoir confiance dans un partenaire de négociation soutenu par un gouvernement turc qui favorise de plus en plus une Turquie moins occidentalisée en bradant l'héritage d'Atatürk?. Le passé récent ne favorise pas la confiance : Après l'invasion turque, l'héritage du patrimoine architectural et religieux orthodoxe dans la partie nord occupée a été pillé et dégradé. Le rapport très détaillé de la Librairie du Congrès des Etats-Unis d'Amérique est extrêmement clair à ce sujet[1].
Chypre et son environnement géopolitique méditerranéen : une recrudescence d'un vieux conflit de civilisation ?
Dans le contexte croissant de tensions en Méditerranée et en Europe entre les nations européennes et un Islam politique extrémiste et conquérant, la question de la réunification de Chypre est un processus à haut risque pour l'avenir des Chypriotes grecs. L'équilibre entre les chypriotes grecs de confession majoritaire orthodoxe, les chypriotes maronites et la population chypriote turque musulmane risque de tourner au désavantage des orthodoxes et chrétiens en général pour les raisons suivantes :
Après l'invasion, la Turquie a littéralement colonisé le Nord de Chypre par une population turque originaire d'Anatolie et par l'arrivée de nombreux militaires depuis l'occupation du nord de l'île. Quelles que garanties auront les Grecs chypriotes pour que cela cesse? De plus l'éloignement progressif de la Turquie d'Erdogan par rapport à son héritage laïc et la promotion de l'Islam politique, notamment dans le cadre du conflit syrien laisse planer un gros doute sur l'attitude des gouvernements Turcs vis à vis de la République de Chypre réunifiée.
Perspectives
La tentation actuelle est de réduire la problématique de la réunification aux questions économiques. Selon les défenseurs de la réunification, cette opération devrait augmenter les opportunités commerciales et les champs gaziers découverts récemment dans les zones maritimes adjacentes pourraient être exploités au bénéfice de tous.
Toutefois, L'Union européenne ne devrait pas sacrifier l'avenir de Chypre, ni plaire à tout prix au gouvernement turc pour mettre une œuvre l'accord avec la Turquie sur la question migratoire, ni s'égarer dans la promotion d'une idéologie multiculturaliste qui favorise l'entrisme de l'Islam politique.
La question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne risque aussi de peser sur les négociateurs de l'Union européenne. Un accord sur une modalité institutionnelle de réunification de l'île serait un obstacle levé de plus sur la voie de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Les adeptes de l'idéologie sans-frontiériste et de l'élargissement continu de l'Union européenne, aussi bien dans l'administration européenne que chez certains états membres mais aussi dans des états extérieurs à l'Union européenne comme les Etats-Unis, pourraient être tentés d'accélérer les négociations, non seulement au détriment des grecs chypriotes, mais aussi aux peuples de nations européennes qui sont en majorité écrasante opposés à un élargissement de l'Union européenne à une Turquie en voie d'islamisation.
L'Union européenne réussira-t-elle ou échouera-t-elle à aider Chypre à rester un avant-poste de la civilisation européenne en Méditerranée ? L'enjeu crucial est de savoir si l'Union Européenne est capable d'incarner et de promouvoir les intérêts de la civilisation européenne dans le monde, et non pas seulement des valeurs transnationales universalistes et des normes juridiques parfois éloignées des préoccupations des citoyens.