Le Caucase et la Mer Noire : le nouveau pivot géopolitique après le Brexit ?

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Le conflit entre la Géorgie et la Russie en 2008 a constitué une étape importante de la confrontation entre les États-Unis et la Russie pour la constitution de zones d’influences sur le continent Eurasien. Après le Caucase, c’est vers l’Ukraine en 2014 et la Syrie avec l’intervention russe en 2015 que se sont déplacées les tensions entre les Russes et les États-Unis et leur alliés euro-atlantistes. Le résultat des deux conflits, la guerre entre la Russie et la Géorgie, et la guerre civile en Ukraine, ont abouti au même résultat : la remise en cause de l’élargissement de l’Alliance atlantique dans le Caucase et en Ukraine. Dans les deux cas, les conflits ont abouti à des conflits gelés. La situation n’est toutefois pas complètement stabilisée. le risque dans un avenir proche est un regain de tensions géopolitiques dans le Caucase, et sur le pourtour de la mer Noire. Cette zone est un pivot géopolitique central pour l’influence en Eurasie entre les puissances qui comptent.

La crise issue du vote Britannique sur le Brexit a potentiellement pour effet de renforcer les rivalités géopolitiques dans la région. Le risque est un renforcement de l’OTAN  et de sa politique d’expansion en désignant la Russie comme adversaire, afin de compenser la perte d’influence des États-Unis  au sein de l’Union européenne après la sortie du Royaume-Uni qui était l’un des piliers de l’euro-atlantisme, avec pour objectif de rassembler à nouveau les Etats européens sur les priorités géopolitiques des Etats-Unis.                

En raison de la proximité géographique avec la Russie et le Caucase, et de ses liens historiques avec les États-Unis, l’évolution de ces conflits plus ou moins gelés peuvent influencer négativement la stabilité du voisinage oriental de  l’Union européenne.

L’élargissement de l’OTAN remis en cause

L’objectif prioritaire de la Russie de briser son encerclement par l’Alliance atlantique est pour le moment atteint. La valeur stratégique de la Géorgie est diminuée pour l’Alliance atlantique depuis la perte de facto d’environ un tiers de son territoire. L’incertitude sur les frontières de la Géorgie  rend hasardeuse toute promesse  d’adhésion.

En ce qui concerne l’Ukraine, son adhésion à l’Alliance atlantique devient aussi non seulement plus risquée en raison du conflit gelé dans le Donbass, mais aussi moins avantageuse  par l’impossibilité pour l’OTAN de  s’implanter en Crimée rattachée à la Russie. Cette région  a une valeur hautement stratégique pour les opérations de la flotte russe en mer Noire et en Méditerranée depuis le port de Sébastopol.

Les désaccords entre les États membres sur l’élargissement de l’Alliance atlantique vont probablement s’accentuer si les Etats-Unis et leurs alliés proches tentaient de relancer le processus dans le Caucase.

La Russie considère que la politique d’élargissement de l’Alliance atlantique soutenue par les États-Unis et ses alliés a pour objectif son encerclement. Que l’on interprète cette perception comme exagérée ou pertinente ne change rien au fait que l’on doive en tenir compte. Si la Géorgie et l’Ukraine avaient été admises au programme de préparation à l’entrée dans l’Alliance atlantique lors du sommet de Bucarest d’avril 2008 et conformément aux vœux des États-Unis et de certains États européens, le conflit entre la Géorgie et la Russie mais aussi la guerre civile en Ukraine aurait démontré l’incapacité de l’Alliance atlantique à réagir en face de la Russie sans risquer un conflit beaucoup plus grave. Le principe d’assistance mutuelle qui est au cœur de la crédibilité de l’Alliance atlantique se serait encore affaibli.

Quels sont les intérêts des Européens?

L’élargissement de l’Alliance atlantique souhaité par les États-Unis et certains États européens ne correspond pas aux intérêts de sécurité de l’Union européenne qui se trouverait directement affectée par une confrontation de grande ampleur en Eurasie. La position géographique des États-Unis leur permet de prendre plus de risques pour atteindre leurs objectifs géopolitiques en Eurasie. En matière de sécurité, la géographie prime par rapport aux liens culturels. Pour clarifier et améliorer la relation transatlantique, la question ne pourra pas être éludée. Si l’Union européenne garde l’ambition stratégique de se constituer en « Europe politique », il lui est nécessaire de pouvoir identifier et défendre ses intérêts de manière autonome dans un monde multipolaire en construction. Une analyse réaliste de ses intérêts suggère les principes suivants. Dans l’optique d’une « Europe politique », la nature des relations à construire avec la Russie diverge considérablement de l’approche suivie aujourd’hui par les États-Unis et les États européens les plus atlantistes. Le discours divisant les protagonistes entre les Occidentaux et la Russie est trompeur car il masque les divergences entre les États-Unis et le cœur continental européen. L’élargissement de l’Alliance atlantique souhaité par les États-Unis et leurs alliés européens comme la Grande-Bretagne, la Pologne et les pays Baltes peut être perçu comme un moyen d’affaiblir la Russie en grignotant sa zone d’influence traditionnelle qui s’est construite sur plusieurs siècles. Pour le cœur continental de l’Europe constitué par l’Allemagne, la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche et la Hongrie, soutenus par l’Italie, l’Espagne et le Portugal, mais aussi la Grèce et Chypre, la Russie est un partenaire historique et la coopération devrait primer sur la confrontation. Les autres membres de l’Union ont des positions intermédiaires. Si la question des relations avec la Russie divise encore durablement les membres de l’Union européenne, les États membres vont continuer à aborder les relations avec la Russie de manière bilatérale.

Une politique d’équilibre

Dans un monde multipolaire, la stabilité en Eurasie ne pourra être atteinte que par un équilibre entre les grandes puissances, et non par une fixation sur la doctrine de « l’élargissement de la démocratie » qui sert de prétexte à affaiblir la Russie et aboutit à renforcer les méfiances réciproques. La Russie fait office de contrepoids utile dans le contexte d’une politique d’équilibre à l’échelle mondiale. Elle constitue également l’hinterland énergétique et commercial de l’Union européenne. La possibilité d’un partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie doit donc être sauvegardée.

Dans cette optique, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine et l’Asie centrale sont des zones clés pour conforter les aspirations à la sécurité affichées par la Russie. La Russie exercera toujours une influence déterminante sur ses marches pour des raisons historiques et géographiques évidentes. La prudence suggère de ne pas précipiter l’élargissement de l’Union européenne, encore moins celui de l’Alliance atlantique. Une zone tampon comprenant l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie glissant progressivement en zone de coopération privilégiée entre la Russie et l’Union européenne est une option plus réaliste. La renonciation à l’élargissement de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique dans « l’étranger proche » de la Russie est le moyen de renforcer la stabilité régionale et d’améliorer les relations avec la Russie. Par des frontières stables, l’Union européenne mettrait un frein à sa dilution qui s’accélère depuis les élargissements successifs, et depuis la crise du Brexit. Sa cohésion interne mais aussi son identité qui est cruciale pour le soutien des peuples en sortirait renforcée. Sans remettre en cause les relations avec les États-Unis, un rééquilibrage de l’Alliance atlantique est également nécessaire pour mieux prendre en compte les intérêts des Européens. Ce nouvel équilibre formerait la base d’une nouvelle architecture de sécurité eurasienne en prenant en compte les intérêts de sécurité de la Russie et en facilitant la stabilisation de l’hinterland continental de l’Union européenne. C’est aussi la possibilité pour l’Union européenne de se constituer en pôle d’équilibre à côté de la Russie.