Les Etats-Unis ont provoqué l’intervention de la Russie en Ukraine, et l’Union européenne otanisée est le dindon de la farce
Conflit en Ukraine : La nouvelle manœuvre géopolitique planétaire des Etats-Unis face à la Chine et la Russie
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine dépasse la conflictualité territoriale régionale et aura des répercutions à l’ échelle mondiale. Il constitue une étape importante dans la confrontation entre les Etats-Unis et la Russie, mais aussi la Chine pour la constitution de zones d’influences sur le continent Eurasien. Il interpelle directement l’Union européenne.
Aujourd’hui, les Etats-Unis ne peuvent pas manœuvrer sur deux fronts contre la Russie et la Chine sans alliés directement alignés sur leurs priorités. Il faut rappeler la posture géopolitique des Etats-Unis qui consiste à encercler l’Eurasie avec deux points d’appuis principaux, le front européen et le front indo-pacifique.
Les Etats-Unis ont en réalité cherché à déclencher l’intervention russe en Ukraine, de manière à faire de l’Ukraine, un Etat-front contre la Russie pour provoquer une guerre d’attrition[1], et transformer définitivement l’UE en supplétif de l’OTAN, c’est à dire otaniser l’UE[2]. Rappelons que cette crise renforce le statut de protectorat des Etats membres européens de l’OTAN vis à vis des Etats-Unis. Seule la France peut prétendre à une indépendance stratégique avec la possession d’une arme nucléaire.
L’annonce par Joe Biden que les Etats-Unis n’interviendraient pas militairement en Ukraine, a eu de facto pour effet de donner un feu vert pour une intervention de la part de la Russie, qui de son côté a considéré quelle était inévitable. Le refus d’imposer une no-fly-zone au dessus de l’Ukraine et de livrer des avions à l’Ukraine à partir des bases de l’OTAN en Europe a confirmé qu’ils n’enverraient plus de soldats au front comme lors de la guerre froide, mais qu’ils confiaient cette tâche aux Ukrainiens en leur livrant des armes et en poussant l’UE à se positionner comme seconde ligne de front contre la Russie.
L’Ukraine a été choisie comme le champ de bataille décisif de la guerre des Etats-Unis/OTAN contre la Russie. Cette manœuvre explique le refus délibéré de la part des Etats-Unis de toute négociation sur une nouvelle architecture de sécurité. La France et l’Allemagne, garants Européens du processus de Minsk ont failli dans leur mise en œuvre de ces accords sur une fédéralisation de l’Ukraine. Le processus a été constamment bloqué par le régime de Kiev renforcé par la manœuvre des Etats-Unis pour torpiller ces accords et la France et l’Allemagne ont été incapable de s’y opposer, et pire l’ont même accompagnée en n’ayant jamais exercé de pression sur Kiev.
Les Etats-Unis font le calcul suivant : en fixant l’Europe de l’OTAN contre la Russie, ils délèguent ce front européen (Rimland européen) à l’OTAN tout en maintenant leur rôle de chef de file, et peuvent concentrer plus d’énergie sur le front en Asie (Rimland indopacifique) contre la Chine. En renforçant la dépendance des Européens vis à vis de l’OTAN, les Etats-Unis veulent forcer les Européens à s’aligner sur leur objectif de contrer la Chine, au moyen d’une OTAN globale. Sans doute espèrent-il aussi convaincre la Chine de jouer un rôle de médiateur dans ce conflit afin de faire pression sur la Russie et pour faire émerger un condominium américano-chinois. Cette option reste pour l’instant hypothétique avec le refus de la Chine de s’embarquer dans le front anti-russe. Si elle délivre pas d’armes à la Russie, et elle n’applique aucune sanction, la Chine n’a par contre aucun intérêt à une défaite de la Russie car elle se retrouverait encerclée entre deux fronts.
L’unité précaire européenne au sein de l’Union européenne n’est que le signe de sa vassalisation vis à vis des Etats-Unis et de l’OTAN, le stade ultime de l’américanisation de l’Europe. La nouvelle boussole stratégique de l’Union européenne[3] n’est qu’un sous-ensemble de la stratégie de Etats-Unis et de l’OTAN en Europe et en réalité un abandon de toute ambition d’autonomie stratégie européenne ou de défense européenne. La boussole stratégique n’est qu’un copié-collé des éléments de langage de l’OTAN.
Cette manœuvre des Etats-Unis et leurs alliés proches européens a pour objectif de torpiller un rapprochement entre les poids lourds de l’Union européenne, l’Allemagne, la France, l’Italie et la Russie, et de donner un nouveau rôle à l’OTAN. En effet, selon la vision stratégique des Etats-Unis, la Russie doit rester l’ennemi désigné du système euro-atlantiste. Rappelons que la Russie ne peut pas devenir un allié de l’Occident atlantiste contre la Chine, car si la Russie n’était plus considérée comme l’adversaire, la stratégie du Rimland européen serait inopérante et l’OTAN ne pourrait plus jouer son rôle d’instrument de contrôle des Européens à l’avantage des Etats-Unis. Dans cette configuration, les Etats-Unis n’exerceraient plus leur suprématie en Europe et un axe Paris-Berlin Moscou, cœur de l’Europe de l’Atlantique au Pacifique, serait susceptible de mettre en danger l’axe Washington-Londres-Varsovie-Bruxelles (OTAN/UE). Il n’est pas question non plus pour la Russie, pivot de la stratégie de la Grande Eurasie[4] et pilier du mode multipolaire, de se vassaliser vis à vis du système euro-atlantique (OTAN/UE) e d’ouvrir un front contre la Chine.
Les Etats-Unis font de la Russie un ennemi mais en confiant le front aux Etats membres de l’Union européenne, qui se retrouvent de facto coincés entre deux arcs de crise (à l’Est contre la Russie et au Sud contre le djihadisme). L’Union européenne devient une périphérie, un champ de bataille entre la Russie et les Etats-Unis avec pour Etat-front l’Ukraine qui fait la guerre à la Russie par procuration.
[1] https://multipolarista.com/2022/03/24/us-official-ukraine-nato-proxy-war-russia/?fbclid=IwAR3QkYZeSgyRulxN9A5q8E4qK3ty5aZCILD-eUpi6ype4BO2AHPpyFy4Ips
[2] Cette otanisation de l’UE a été promue avant la crise en Ukraine, et été anticipée depuis longtemps https://www.gmfus.org/news/nato-core-tasks-contested-global-landscape
[3] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/03/21/a-strategic-compass-for-a-stronger-eu-security-and-defence-in-the-next-decade/
[4] Marina Glaser (Kukartseva), Pierre-Emmanuel Thomann,, The concept of “Greater Eurasia”: The Russian “turn to the East” and its consequences for the European Union from the geopolitical angle of analysis, Journal of Eurasian Studies, July 31, 2021.
Excellente analyse.
Merci