Les finalités géopolitiques européennes divergentes de l’Allemagne et de la France sont un obstacle à l’approfondissement politique de la zone euro
Le président François Hollande (discours du 14 juillet) et le premier Ministre Manuel Valls (19 juillet) ont fait des propositions institutionnelles pour sortir de la crise de l’euro grâce à une poursuite de l’intégration de la zone euro, en la dotant d’un gouvernement économique, d’un budget, d’un parlement spécifique et de faire émerger une avant-garde au sein de l’Union européenne. Ces propositions suivent celles de Siegmar Gabriel, vice chancelier dans la coalition au pouvoir en Allemagne et d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie du gouvernement français : ils avaient aussi suggéré un renforcement de la zone euro parallèlement à une union économique et sociale (31 mars). La chancelière Angela Merkel, sans répondre personnellement à cet appel, a fait savoir par ses conseillers que des propositions allant dans ce sens avaient déjà été entérinées au niveau franco-allemand (30 mai).
Au delà des déclarations politiques, ces propositions ont pourtant peu de chances d’aboutir à une phase de mise en œuvre effective car elles ne résolvent pas en profondeur la question plus fondamentale des finalités européennes et des rivalités de pouvoir de nature géopolitique entre l’Allemagne et la France ( lire à ce propos l’article précédent anticipant l’affrontement franco-allemand sur la crise grecque : La crise de l’euro, bombe à fragmentation géopolitique pour l’Europe et la relation franco-allemande : mèche courte ou mèche longue », 28-06-2015).
Avec l’aggravation de la crise en Grèce, l’équilibre précaire et temporaire obtenu par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy était à nouveau menacé. Les attentes restent pourtant contradictoires, mis à part à ce stade de l’intérêt commun affiché des gouvernements pour une survie de l’euro. François Hollande et Angela Merkel ont abouti à un compromis temporaire et précaire au sommet européen du 13 juillet en maintenant la Grèce dans la zone euro (revendication française) au prix de la poursuite d’un plan d’aide accompagné d’un renforcement des règles budgétaires (revendication allemande) après s’être opposés durant les négociations.
Au-delà de l’entente affichée d’un couple franco-allemand équilibré pour la communication politique, les finalités divergent entre les gouvernements allemand et français. Les Français ont pour ambition de renforcer la dimension politique de la zone euro à 19 dans une Union européenne, selon leur perception, trop grande et dominée par l’Allemagne installée dans son centre géographique. Ils espèrent faire faire émerger un gouvernement économique plus favorable à la vision française d’un contrôle de l’économie par la politique, tout en préservant le rôle de l’Allemagne comme « bouclier de la zone euro » dans la mondialisation, et profitant à la France économiquement plus faible. Les Allemands, sans être univoques (il existe des nuances dans la coalition au pouvoir entre Angela Merkel, Siegmar Gabriel et Wolfgang Schaüble), se méfient de cette conception et souhaitent maintenir le centre de gravité géopolitique à l’échelle des 28, car ils en occupent le centre. Ils proposent à l’inverse une extension de leur modèle économique au reste de l’Union européenne tout en voulant éviter une « Europe des transferts financiers » (Transferunion). En refusant une avant-garde, ils veulent aussi éviter de créer de nouvelles fractures avec les États-membres d’Europe centrale et du Nord qui ne font pas partie de la zone euro comme la Pologne et la Suède.
Garder la Grèce dans l’euro est la position que le gouvernement français a privilégiée durant les négociations. Cela revient à préserver le rôle de charnière géopolitique du couple franco-allemand entre Europe nordique et méditerranéenne, mais repousse à plus tard les questions qui fâchent sur les finalités. Le référendum négatif en Grèce du 5 juillet a été largement perçu en France et les pays du Sud comme un camouflet pour la vision allemande et celle des institutions européennes. L’approfondissement de l’intégration de la zone euro selon une vision française comme le propose le président français ne pourrait pourtant se réaliser paradoxalement qu’au prix d’un renforcement des règles allemandes, qui sont considérées par les français comme un facteur de la crise actuelle, car le gouvernement d’Angela Merkel serait accusé dans le cas contraire d’avoir cédé aux exigences des pays du Sud qui sont tentés de vouloir changer de modèle économique. De plus, un budget et un Parlement spécifique pour la zone euro nécessiteraient un changement des traités, option illusoire à 28 États-membres de l’Union européenne.
Si l’option du Grexit a été écartée, la zone euro n’échappera pas aux crises à venir car la fragmentation européenne entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud reste une réalité dans une zone Euro où la perception d’un poids renforcé de l’Allemagne renforce les incertitudes. L’ex-ministre des finances Yanis Varoufakis a souligné dans les médias la lutte de pouvoir par proxy (La Grèce) entre le gouvernement allemand qui cherche à imposer ses propres règles et le gouvernement français qui cherche à les adoucir en fonction de sa propre vision[1]. Si l’euro est perçu comme un instrument au service de la mondialisation et de la puissance économique allemande au détriment de l’Europe de la solidarité, il fera échouer l’Union européenne.
La crise de l’euro, symptôme de la crise franco-allemande et de facto de l’Union européenne exigerait une clarification sans tabous des finalités de l’Union européenne entre les Allemands et les Français pour solidifier une relation nécessaire aux équilibres géopolitiques européens et mondiaux. L’euro, sous sa forme actuelle, est surtout le résultat des neutralisations réciproques mues par les rivalités intra-européennes, et ne peut pas devenir un instrument de puissance économique et politique profitable de manière équilibrée à ses membres.
Sans une refondation géopolitique du projet européen sur des bases plus solides tenant compte de la pérennité des États-nations et des équilibres nécessaires, les fragmentations européennes et franco-allemandes risquent de s’aggraver, à l’image du monde actuel de plus en plus multicentré.