L’Ukraine dans l’UE ? un cadeau empoisonné
Choisissant la fuite en avant, le statut de pays candidat à l’Union européenne (UE) a été accordé à l’Ukraine au sommet européen du 23 juin.
Une adhésion potentielle de l’Ukraine à l’UE est pourtant un cadeau empoisonné. Le processus d’adhésion sera semé d’embûches mais également une source de différents entre les Etats membres de l’UE, et un gouffre financier. Le scénario le plus probable est une négociation perpétuelle qui n’aboutira jamais car une adhésion à l’ UE, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, la ferait éclater. Le processus d’adhésion est donc mort-né et s’enlisera vraisemblablement comme dans le cas de la Turquie.
L’octroi du statut de pays candidat à l’adhésion non seulement à l’Ukraine mais aussi à la Géorgie démontre aussi que l’objectif implicite du partenariat oriental de l’UE était bien de préparer l’élargissement de l’UE. Le narratif de l’UE depuis la création du partenariat oriental avait pourtant pris soin de préciser que l’objectif n’était pas l’élargissement de l’UE, sachant pertinemment que les peuples des Etats membres y étaient très réticents. La preuve est faite aujourd’hui que la bureaucratie de l’UE n’a pas tenu un discours de vérité aux peuples européens. Ce nouvel élargissement se matérialiserait à nouveau sans le soutien de la majorité des citoyens.
Il faut rappeler que l’Ukraine, dans ses frontières reconnues par l’UE, serait le plus grand Etat de l’UE par la géographie, et son poids démographique est environ de 37, 7 millions de personnes vivant sur son territoire (l’Ukraine a perdu 15 millions en 30 ans)[1]. Son poids dans l’UE correspondrait à celui de la Pologne (37, 95 millions en 2020). L’adhésion de l’Ukraine à l’UE bouleverserait non seulement les structures institutionnelles de l’UE, mais surtout les équilibres géopolitiques internes à l’UE.,
Rappelons que toute adhésion à l’UE doit être approuvée à l’unanimité. [2] L’UE,ne pourra pourtant pas absorber l’Ukraine en raison du poids financier que cela représenterait, et il est donc douteux que le « critère » de la capacité d’absorption de l’UE puisse être satisfait [3] . Il est aussi illusoire de croire que les réformes exigées par l’UE pour que l’Ukraine atteigne les critères d’adhésion puissent aboutir pour un Etat de cette taille, lorsque l’on constate les divergences croissantes entre les Etats fondateurs et les Etats issus de la dernière vague d’adhésion ( l’Europe centrale et orientale). Une telle adhésion augmenterait les discontinuités internes à l’UE qui sont déjà à l’origine de la fragmentation géopolitique croissante de l’UE, entre Europe de l’Est et de l’Ouest, Europe du Nord et du Sud…
Une question se pose aussi d’emblée. Quelle partie du territoire a-t-elle vocation à entrer dans l’UE, alors que la Crimée restera un territoire russe, les républiques indépendantes du Donbass se rapprocheront inéluctablement de la Russie et très probablement de nouvelles républiques autonomes, notamment à Kherson, vont de facto encore fragmenter le territoire de l’Ukraine ? Si un changement des frontières de l’Ukraine n’est pas négocié dans le cadre d’un accord de sortie de crise ou d’un nouveau traité, l’UE importerait un nouveau différend non résolu comme le cas de Chypre, dont le territoire est occupé par l’armée turque.
Du point de vue géopolitique, un élargissement éventuel de l’UE à l’Ukraine provoquerait tout d’abord un déplacement du centre de gravité de l’UE vers l’Allemagne et l’Est du continent, absorbant les financements au détriment de l’Europe latine et méditerranéenne. Cet élargissement enfermerait les relations extérieures de l’UE dans une rivalité systémique avec la Russie, en alignement des intérêts germano-américains et donc au détriment des priorités de la France, qui devrait donc logiquement freiner le processus.
Sous la pression de la propagande de guerre ambiante du président Zelenksi, des intérêts des institutions, mais aussi des Etats favorables à l’élargissement, l’Allemagne, la Pologne les pays baltes, et la pression extérieure des Etats-Unis, le président français a cédé alors qu’il y était défavorable
Ce processus d’adhésion va toutefois entrer en rivalité avec les propositions françaises exprimés par le président français Emmanuel Macron le 9 mai 2022 après sa réélection[4]. La France souhaite au contraire une alternative à l’élargissement. Le Président français a fait la promotion une Europe des cercles (qui instituent une hiérarchie géopolitique) et annoncé ne pas vouloir humilier la Russie. Il a aussi souligné la nécessité d’une nouvelle architecture de sécurité européenne incluant l’Ukraine et la Russie et enfin cherché à préserver le rôle du couple franco-allemand comme chef de file.
La France a donc de facto fermé la porte à un élargissement rapide de l’Ukraine à l’UE en proposant cette nouvelle architecture européenne en cercles concentriques. Le cercle le plus intégré serait la zone euro avec l’Allemagne, et un autre cercle avec le marché unique. Dans le cercle le plus large émergerait une communauté politique européenne où les pays du partenariat oriental dont l’Ukraine pourraient trouver leur place permettant de développer des coopérations entre l’UE et les candidats à l’adhésion, mais pas forcément aboutir à l’adhésion. L’Ukraine pourrait se rapprocher de l’UE sur certaines politiques, mais non pas devenir membre, en tout cas pas avant longtemps. la Turquie et le Royaume-Uni auraient aussi vocation à se trouver dans ce cercle.
De plus une adhésion de l’Ukraine rendrait illusoire toute cohésion interne de l’UE déjà impossible en matière des relations extérieures, en raison des perceptions de sécurité asymétriques. L’Ukraine chercherait à profiter de son statut d’Etat membre pour torpiller toute relation constructive avec la Russie et renforcerait le camp de la Pologne et des Etats baltes, alignés sur les Etats-Unis, au détriment de la France, l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie.
Il serait ayussi encore plus difficile de surmonter une Nouvelle Guerre Froide avec la Russie dans le cadre d’un euro-atlantisme exclusif promu par les Etats les plus atlantistes. La connexion des Européens de l’Ouest aux routes de la Soie chinoises, en passant par la Russie, serait aussi rendue plus difficile.
Un rapprochement continental de l’Atlantique au Pacifique, étape pourtant nécessaire pour éviter aux Européens d’être entrainé dans la rivalité géopolitique entre les Etats-Unis et la Chine serait encore plus controversé.
L’Ukraine dans l’UE, c’est un cheval de Troie pour l’hégémonie des Etats-Unis en Europe et le maintien d’une vision unipolaire obsolète face à l’émergence inéluctable de la multipolarité mondiale. Du point de vue géopolitique, l’UE se contente au niveau mondial d’être un Rimland, un sous ensemble de la grande stratégie des Etats-Unis. pour encercler l’Eurasie, contre la Russie et la Chine. L’ adhésion de l’Ukraine à l’UE ne peut qu’aggraver les relations avec la Russie, puisque l’UE se considère comme complémentaire à l’OTAN. L’UE, avec l’Ukraine et les pays baltes aurait une frontière commune très importante avec le Russie et cette situation ne pourrait qu’aggraver les conflits.
Le statut de pays candidat va par contre permettre de financer l’Etat Ukrainien. Ces flux risquent d’alimenter l’oligarchie corrompue du pays, car l’alignement rapide de l’Ukraine sur les principes normatifs de l’UE est une illusion.
Cet épisode démontre encore une fois que l’UE et ses Etats membres sont incapables de penser le projet européen en fonction de l’angle géopolitique; c’est à dire se poser la question suivante : l’Ukraine dans l’UE sera-t-elle un gain de puissance ou un diviseur de puissance ?
La perspective d’un élargissement de l’UE à l’Ukraine corresponds en réalité à la vision géopolitique euro-atlantiste exclusive des Etats-Unis et leurs alliés proches. L’UE n’est qu’un sous-ensemble de l’espace euro-atlantique et comme instrument de la manoeuvre géopolitique des Etats-Unis pour contrer la Russie en Europe et la repousser toujours plus loin en Eurasie. L’UE n’est qu’une périphérie sans ossature géopolitique et va se fragmenter de manière croissante. C’est aussi à nouveau la confirmation que l’UE est basée sur des paradigmes obsolètes et fait la promotion de la démocratie libérale d’inspiration américaine et ne se focalise pas sur le maintien de la civilisation européenne, qui inclut la Russie. Les Etats membres sont incapables de s’accorder collectivement sur des intérêts géopolitiques communs, mis à part en réaction aux évènements et en alignement avec les Etats-Unis.
L’Ukraine a pourtant vocation à faire partie d’un projet européen réformé, mais comme atout pour une Europe plus géopolitique afin d’atteindre plus d’indépendance pour les Etats européens, et non pas comme pivot d’une nouvelle Europe d’orientation euro-atlantiste dont la cohésion politique serait l’adversité contre la Russie.
[1] https://www.rts.ch/info/monde/11081451-lukraine-a-perdu-15-millions-dhabitants-en-moins-de-trente-ans.html
[2] Article 49 du Traité sur l’Union européenne
« Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de cette demande. L’État demandeur adresse sa demande au Conseil, lequel se prononce à l’unanimité après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen qui se prononce à la majorité des membres qui le composent. Les critères d’éligibilité approuvés par le Conseil européen sont pris en compte.Les conditions de l’admission et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l’Union, font l’objet d’un accord entre les États membres et l’État demandeur. Ledit accord est soumis à la ratification par tous les États contractants, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »
[3] Les critères de Copenhague
Critère politique : avoir des institutions stables garantissant la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’Homme, le respect des minorités et leur protection ;
Critère économique : avoir institué une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union ;
Critère institutionnel : avoir la capacité de reprendre et mettre en œuvre l’acquis communautaire ;
Capacité d’absorption : il concerne l’Union européenne et non le pays candidat, et se définit comme la capacité de l’UE à assimiler de nouveaux Etats membres.
[4] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/05/09/cloture-de-la-conference-sur-avenir-de-europe
merci de cet argumentaire. Les pays d europe centrale et de l est n’auraient jamais du etre inclus si rapidement car ils n’ont pas eu le temps de faire la paix avec eux-memes , leur histoires, et encore moins leurs voisins.
(cf Pologne Allemagne) et ne partage de facto pas les valeurs de paix et de commerce bilateral comme vecteur pacifiant.
prenez le temps de corriger les fautes qui ne vont pas de concert avec le niveau de redaction de votre article.