Moldavie : vers un renforcement de la crise migratoire sur le flanc oriental de l’UE ?
L’attention dans les médias et dans les débats politiques se concentre presque exclusivement sur la crise migratoire en provenance de flanc sud de l’Union européenne, c’est à dire l’arc de crise qui s’étend de l’Atlantique à l’Afghanistan, en passant par la Méditerranée, mais aussi le Sahel.
Pourtant, la crise migratoire a débuté avant si l’on tient compte des flux en provenance du flanc oriental de l’Union européenne. L’élargissement de l’UE en Europe centrale et orientale et dans les Balkans fut l’occasion pour les Etats membres les plus développés au point de vue économique, d’ouvrir leurs frontières à des millions de travailleurs migrants. Ainsi, plus de 3 millions de Roumains ont quitté pour leur pays pour aller travailler plus à l’Ouest. On n’a pas parlé de crise migratoire à ce propos, mais les conséquences de ces flux ont pourtant fortement contribué à la crise de l’Union européenne, notamment avec le Brexit, mais aussi les polémiques sur la directive des travailleurs détachés. Dans ces deux cas, les flux en provenance des nouveaux Etats membres ont provoqué une réaction négative dans une partie de la population de l’UE. Le facteur migratoire a été un élément déclencheur très important au Royaume-Uni de la perte de confiance dans l’UE qui abouti au Brexit après le référendum. La directive des travailleurs détachés, accusée de favoriser le plus petit dénominateur commun en matière de salaires et protection sociale en raison des différentes législations entre les anciens Etats membres et les pays d’Europe centrale et orientale, a fait aussi l’objet de polémiques politiques. Dans les deux cas, les flux engendrés ont aggravé la crise de légitimité de l’Union européenne auprès d’une partie des citoyens de manière suffisamment importante , pour que l’on parle aujourd’hui de crise.
Si une partie des citoyens européens furent mécontents, ces flux ont aussi largement profité à certains secteurs économiques à l’Ouest, mais les bénéfices ont été très inégalement distribués. Aujourd’hui le problème perdure et se déplace plus à l’Est avec les perspectives d’élargissement de l’UE aux pays du partenariat oriental. Il n’est bien sûr fait mention nulle part dans les documents du partenariat oriental d’une promesse d’élargissement. Pourtant, il est aisé de constater que tous les pays membres de l’UE à l’origine du partenariat oriental et ceux qui soutiennent le plus ce processus de coopération sont en faveur d’une extension future de l’UE à ces pays. Les Etats du partenariat comme l’Ukraine, la Moldavie, y sont aussi favorables mais savent qu’il s’agit d’une perspective plus ou moins lointaine. Les Etats membres ne sont évidemment pas encore en phase sur cette question face à l’opinion défavorable d’une grande partie des citoyens de l’UE face à de nouveaux élargissements. Toutefois, les pays en faveur d ‘un élargissement de l’UE a ces pays, chercheront inévitablement à faire revenir cette question au centre de l’agenda européen.
La Roumanie, par exemple, est favorable à un élargissement de l’UE à la Moldavie pour des raisons géopolitiques avant tout. La Roumanie souhaite ne plus rester un Etat périphérique de l’UE, mais étendre son influence vers le nord -est, afin d’être entourée d’alliés. Chaque nouvel Etat membre de l’UE cherche ainsi à déplacer les frontières de l’UE afin d’obtenir une position plus centrale sur la carte géopolitique, aboutissant à un effet boule de neige et une surextension de l’UE. Certains Roumains sont même favorables à une union entre la Roumanie et la Moldavie pour des raisons historiques qui datent du temps ou une partie du territoire de la Moldavie appelé la Bessarabie appartenait à la Roumanie. C’est pour cette raison que la Roumanie, soutenue par les Etats membres comme l’Allemagne qui cherchent à poursuivre l’occidentalisation de leur flanc oriental, souhaite un rapprochement toujours plus étroit entre l’UE et les pays du partenariat oriental.
Si un rapprochement toujours plus étroit se poursuivait, et a fortiori, de nouvelles perspectives d’élargissement à plus long terme, on peut aisément anticiper une aggravation des flux migratoires qui sont déjà important de la Moldavie vers les autres Etats de l’UE, en raison du différentiel économique. Ces flux risqueraient d’aggraver la crise migratoire qui va devenir systémique face à la démographie de l’Afrique. Les dégât sur les sociétés peuvent être considérables. La fuite des cerveaux et de la main d’œuvre en Moldavie est un phénomène très important dans la difficulté de la Moldavie à moderniser son économie, tandis que l’accroissement des flux migratoires pèsera sur l’adhésion des citoyens à l’UE, comme l’a montré le Brexit.
Des élections importantes auront lieu en Moldavie en février prochain. Le pays est tiraillé entre des forces politiques en faveur d’une occidentalisation du pays et un rapprochement avec l’UE et l’OTAN, et celles en faveur d’un rapprochement à l’Union économique eurasiatique, notamment son président Igor Dodon. Les citoyens moldaves sont divisés entre ces deux orientations mais une partie croissante est opposée à une rapprochent avec l’UE, tandis que le gouvernement est pro-Union européenne. Les prochaines élections détermineront plus clairement l’orientation géopolitique du pays. Pour l’instant, une politique d’équilibre précaire est poursuivie, et cela se reflète aussi dans les flux migratoires : plus de 60% environ vont vers l’Est, la Russie principalement, tandis que 40 % vont à l’Ouest. En cas de victoire plus prononcée des forces visant à un rapprochement avec l’UE, les relations entre la Moldavie et la Russie risquent de se tendre, provoquant une réorientation des flux migratoires vers l’UE, aggravant de facto la crise migratoire de l’UE, mais en provenance du flanc oriental. De plus, une orientation plus prononcée vers l’UE va inévitablement relancer à terme la question de l’élargissement de l’UE à la Moldavie. Cette perspective va réactiver la rivalité géopolitique interne à l ‘UE, notamment entre les pays d’Europe centrale et les pays méditerranées, et en surplomb, l’Allemagne et la France dont les orientations géopolitique restent différentes. La France tente d’enrayer le déplacement du centre de gravité de l’UE vers l’Est depuis l’unification allemande et l’extension de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale et freine tout nouvel élargissement. La France pose comme condition, la réforme de l’UE avant un nouvel élargissement, tandis que l’Allemagne a privilégié dans le passé l’élargissement pour se positionner au centre. L’Allemagne est ainsi aujourd’hui favorable à un élargissement de l’UE aux Balkans orientaux, notamment en vue d’en faire une étape réussie dans le processus continu d’occidentalisation du continent eurasien, et éventuellement poursuivre plus tard l’élargissement aux pays du partenariat oriental. La Moldavie, comme les autres pays du partenariat oriental, sont ainsi susceptibles, en fonction de l’orientation choisie, de réactiver les non dits latents de la géopolitique interne à l’UE.