Négociations pour la nouvelle présidence de la Commission européenne: bilan géopolitique
L’ancienne ministre de la défense de la république fédérale d’Allemagne, Ursula von der Leyen, a été choisie par le Conseil européen pour devenir la nouvelle présidente de la Commission européenne, et élue avec une très courte majorité par le parlement européen après des tractations difficiles. Quel bilan géopolitique peut-on tirer de cet épisode ?
La première observation est le constat que le couple franco-allemand reste l’axe de pouvoir central de l’Union européenne puisque la nomination de la présidence de la Commission et des autres postes de l’UE, résultent avant tout d’un compromis franco-allemand. Le deuxième enseignement est que la rivalité géopolitique franco-allemande, c’est à dire la rivalité pour le pouvoir en Europe et les finalités du projet européen avec les tensions qui en résultent, reste au cœur du projet européen et l’axe de ses équilibres géopolitiques.
Enfin, au delà de l’image d’une relation franco-allemande équilibrée que la mise en représentation du couple franco-allemand cherche à diffuser, un déséquilibre géopolitique au profit de l’Allemagne s’est installé dans la durée depuis l’unification allemande et l’élargissement de l’UE à l’Est qui a positionné l’Allemagne comme la puissance centrale et économique de l’Union européenne.
Les gouvernements français successifs ont cherché à rééquilibrer la relation et le président Emmanuel Macron n’y fait pas exception, y compris lors des négociations pour la présidence de la Commission. Le système du Spitzenkandidat inspiré du fédéralisme allemand et qui donne plus de pouvoir à l’Allemagne a été sabordé par le président français en s’opposant à la nomination de l’Allemand Manfred Weber pour éviter sa cristallisation dans la durée. Toutefois le compromis a finalement aboutit à offrir la présidence à une allemande, Ursula von der Leyen qui permet de donner une image de fermeté à la France, mais le déséquilibre en terme de pouvoir reste favorable à l’Allemagne. Il faut rappeler que l’Allemagne occupe la position centrale au milieu de l’UE depuis l’élargissement de l’UE à l’Est et que l’Allemagne contribue pour la plus grosse part au budget de l’UE, et les députés européens allemands forment la délégation nationale la plus nombreuse dans l’UE.
Si l’on examine les déclarations de la nouvelle Présidente de la Commission européenne lors de la défense de sa candidature au Parlement européen[1] ou à la presse quand elle était encore ministre de la défense en Allemagne[2], sa vision européenne est très atlantiste et reste en continuité avec la vision géopolitique de l’Allemagne qui considère que l’Union européenne est un sous-ensemble de l’espace euro-atlantique, avec une relation très étroite avec les Etats-Unis. Si l’on se remémore les propositions de réformes européennes du président Emmanuel Macron, notamment le discours de la Sorbonne, il n’en reste pas grand chose. Lors de sa candidature, le nouvelle présidente n’a ni mentionné l’objectif d’autonomie stratégique de l’UE, puisque l’OTAN reste le pilier de la défense de l’Europe, ni la réforme ambitieuse de la zone euro telle que le président français se l’imaginait. Ursula Von der Leyen s’est par contre prononcée en faveur de la majorité qualifiée pour les questions de politique étrangère à l’UE, mais cela restera une posture utopiste et incantatoire qui entre aussi en contradiction avec la position de la France et de nombreux Etats -membres sur cette question.
Si les questions de défense resteront l’un des axes prioritaires, la complémentarité avec l’OTAN sera préservée, et donc l’autonomie stratégique de l’UE, qui signifie indépendance pour les Français, n’aboutira pas. La nouvelle présidente va aussi vraisemblablement avoir pour priorité d’endiguer les fractures, notamment Est-Ouest pour maintenir la cohésion de l’UE. Cette approche contredit la vision française d’une UE renforcée autour de la zone euro pour donner plus de poids à la France face à une UE plus lâche et dont l’Allemagne reste le centre de gravité géopolitique.
Elue avec une très courte majorité en raison de la fragmentation politique du parlement européen reflétant celle de l’évolution politique dans les Etats-membres, la présidence de la Commission a d’emblée un problème de légitimité et son programme pourra difficilement aller au delà d’un consensus mou sur des grandes orientions volontairement floues.
Si l’on examine la question des rivalités institutionnelles, le Conseil européen, et donc les Etats, reste central puisque le système du Spitzenkandidat promu par le Parlement européen a été contourné. On verra si le pouvoir de l’UE qui s’est accru jusqu’à récemment vis à vis des Etats lors de ce cycle d’intégration européenne[3], pourra se maintenir avec les personnalités nommées qui sont en faveur de plus d’intégration, alors que nous sommes entrés dans un nouveau cycle géopolitique de fragmentation au sein de l’UE, notamment avec le Brexit, mais aussi les fractures Est-Ouest et Nord-Sud. Si l’Allemagne qui a obtenu la présidence de la Commission européenne et la France, la présidence de la BCE sont les principaux bénéficiaires de cette négociation des postes clés de l’UE, les pays d’Europe centrale ont joué un rôle de blocage en s’opposant au néerlandais et Spitzenkandidat des socialistes européens Frans Timmermans. Les pays dits de Visegrad (V4)Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie, lorsqu’ils sont unis peuvent exercer un pouvoir difficilement contournable.
On peut pourtant s’attendre à une présidence faible et un programme basé sur les mêmes recettes issues des paradigmes obsolètes de l’UE qui ont aboutit à des crise multiples. Si elles sont maintenues, les mêmes politiques libérales et leur arsenal normatif vont produire les mêmes effets. On ne se dirige donc pas vers une réforme fondamentale de l’UE en fragmentation pour s’adapter à la nouvelle donne géopolitique européenne et mondiale. Ce sont donc les crises internes et externes qui seront l’aiguillon du changement, en l’absence d’une vision stratégique et géopolitique claire du projet européen.
Le paquet de nominations négocié au Conseil européen, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen, Louis Michel, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Joseph Borell, et la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde souligne une grande continuité au delà des appartenances partisanes. Ces personnalités sont en effet toutes en faveur d’une UE basée sur le concept de société ouverte et le libre-échange, des frontières relativisées, l’adhésion à la doctrine multilatéraliste, la poursuite de l’immigration malgré une communication visant à rassurer l’opinion publique vis vis des frontières, et une Europe atlantiste avec une relation étroite avec les Etats -Unis en rivalité avec la Russie et la Chine. La vision générale est plus proche de la vision germano-américaine du projet européen que de la vision classique française basée sur l’équilibre des puissances, l’Etat fort et la souveraineté, il est vrai affaiblie par les présidents français successifs qu’ils ne l’ont plus réellement défendue, mis à part au niveau déclaratoire.
Ces nominations ont en réalité pour objectif de défendre le modèle de démocratie libérale et multiculturaliste et non pas une Europe comme puissance géopolitique et alliance de nations enracinées comportant des éléments partagés de civilisation. C’est donc une Union européenne qui resté coincée sur les paradigmes libéraux et intégrationnistes du siècle dernier, en contradiction avec la demande croissante des citoyens pour une Europe des nations préservant la souveraineté des Etats, plus de frontières, moins d’immigration, et moins de libéralisme économique.
Le programme de la commission est assez peu ambitieux et la mise en avant de la question du climat permet de rester assez vague. Même si cela paie en termes politiques vis à vis de citoyens de se présenter comme un défenseur du climat, cela aboutit aussi à des objectifs incantatoires et utopistes et favorise donc l’irresponsabilité politique.
En ce qui concerne la France, la président Emmanuel Macron soutient comme l’Allemagne cette vision libérale et atlantiste de l’Europe, mais selon une moindre intensité. Il ne pratique cependant pas la politique d’équilibre comme le général de Gaulle savait le faire pour rééquilibrer la situation. Cette posture entre donc en contradiction avec la vision gaullienne de l’Europe des nations qui se renforce pourtant inéluctablement au sein de l’opinion publique française face à la mondialisation ultralibérale et ses effets destructeurs.
Les tensions au sein de l’Union européenne et au sein de l’axe franco-allemand vont donc se poursuivre, puisque la rivalité géopolitique au sein du couple franco-allemand aboutit à des compromis précaires et inachevés. Il ont surtout pour objectif de tenter d’endiguer et repousser dans le temps les crises qui s’empilent sans jamais être définitivement résolues. Cette rivalité géopolitique franco-allemande constitue donc un obstacle à une orientation commune et définitive à propos des finalités européennes.
Le projet européen reste un enjeu géopolitique de pouvoir entre ses Etats-membres, et en particulier la France et l’Allemagne qui oscillent entre rivalité et compromis temporaire.
[1] http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-19-4230_fr.htm
[2] https://www.nytimes.com/2019/01/18/opinion/nato-european-union-america.html
[3] Notamment avec l’attribution de compétences comme la concurrence et la négociation de traités commerciaux, mais aussi l’introduction de euro et d’une banque centrale européenne ainsi que le contrôle des budgets nationaux après la crise de l’euro