Partenariat oriental : La fuite en avant de l’UE ?
L'Union européenne traverse une crise sans précédent de ses fondements, avec le Brexit, la crise migratoire et la crise de l'euro.
L'exportation de son modèle dans son voisinage géographique reste pourtant le pilier de sa politique extérieure Exporter un système en crise, au lieu de s'atteler à la transformation de ce même système, ressemble à une "fuite en avant". Ce choix permet ainsi d'éviter de faire face aux questions de fond, et de faire perdurer l'impensé géopolitique qui caractérise l'Union européenne.
L'actualité récente à propos des négociations entre l'Union européenne et les pays du Partenariat oriental exemplifie cette fuite en avant.
Le traité d'association UE-Ukraine a finalement été adopté mardi par le Sénat des Pays-Bas le 31 mai 2017, malgré son rejet par les citoyens néerlandais en 2016.
Pour passer outre l'opinion des citoyens, le premier ministre Mark Rutte s'est appuyé sur le Conseil européen qui a précisé l'interprétation du traité négocié en décembre 2016 sans le modifier. Pour répondre aux inquiétudes des Néerlandais, ce texte a garantit que l'accord d'association ne donnait pas à l'Ukraine le statut de candidat à l'accession à l'Union européenne, ne lui donnait pas accès au marché du travail européen, et ne prévoyait pas de protection en matière de défense. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a pourtant déclaré que la ratification des Pays-Bas envoyait un message important : « l’avenir de l’Ukraine est en Europe », faisant régner l'ambiguïté sur les frontières de l'Union européenne.
Le fait de forcer l'Ukraine à choisir entre une orientation géopolitique vers l'Union européenne ou l'Union économique eurasiatique soutenue par la Russie, a été un facteur de déstabilisation du pays qui a abouti à une guerre civile. Cette manière de procéder dans la proximité de l'UE est de nature à dégrader sa propre sécurité.
Cette erreur stratégique est pourtant sur le point d'être renouvelée en Arménie même si la situation est différente. Un nouvel Accord sur la coopération universelle et élargi " est en préparation entre l'Arménie et l'Union européenne et dont la signature est attendue pour novembre prochain.
l'Arménie cherche a entretenir des relations, tant avec l'Union économique eurasiatique que l'Union européenne, pour sa propre sécurité et stabilité. Les négociations sur un accord d'association entre l'Arménie et l'Union européenne, comme l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, avaient été suspendus lorsque l'Arménie avait décidé de s'associer à l'Union économique eurasiatique. Les négociations ont redémarré et des parties politiques et économiques de l'ancien accord ont été repris.
Toutefois, il n'y a pas de garantie à plus long terme que l'Arménie puisse mener cette politique lui permettant de tester "assise entre deux chaises".
En Ukraine comme en Arménie, en Géorgie et en Moldavie, en s'engageant toujours plus au delà de ses frontières, dans les pays de l'ex-URSS, l'Union européenne prend le risque de se trouver impliquée dans les discontinuités géopolitiques issues des frontières géo-historiques qui jalonnent le continent eurasien : elle affaiblit la cohérence et l’identité de l’Union européenne et augmente les risques de dilution en raison des clivages que cela induit au sein de l'Union européenne, elle-même en crise.
L'Arménie entretient ainsi un conflit territorial avec l'Azerbaïdjan au Haut Karabagh. Ce conflit "gelé" s'est récemment aggravé au point que l'International Crisis Group (ICG) a écrit dans un rapport que les deux pas n'avaient jamais été aussi proches de la guerre de puis 20 ans[i].
Le second risque est l'insistance de l'Union européenne à exporter son modèle basé sur des valeurs occidentales , comme le libéralisme idéologique qui prône l'individualisme au détriment de la communauté nationale, le multiculturalisme qui abouti au conflits multiples, et les minorités sexuelles, qui ne correspondent pas aux traditions historiques, spirituelles et culturelles arméniennes.
Enfin, les faibles retombées économiques attendues d'un tel accord ne font pas forcément le poids par rapport à un risque de déstabilisation de l'Arménie par l'importation d'un modèle venu de l'extérieur.
Une Union européenne en surextension
L'objectif pour l'Union européenne de projeter sa méthode de gouvernance au delà de ses frontières coïncide aussi depuis l'élection de Donald Trump avec la prudence plus grande des Etats-Unis dans l'espace de l'Ex-URSS. La nouvelle approche du gouvernement des Etats-Unis est de plus en plus unilatéraliste, sans synergie avec les Etats-membres de l'Union européenne.
L'Union européenne risque la surextension en s'impliquant davantage dans son voisinage géopolitique, mais sans les moyens lui permettant de peser réellement sur le cours des crise.
Ce risque de surextension est aggravé à cause du processus de régression géopolitique, amorcé avec le Brexit et qui perdure avec les crises multiples non résolues de l'Union européenne.
Conclusion
Le choix pour l'Union européenne de se projeter sans limites vers l'extérieur, afin de faire progresser sans cesse son idéologie normative et occidentaliser sa proximité géographique, sans d'abord se réformer et consolider un projet européen aujourd'hui en crise, est une fuite en avant qui ne permet pas de résoudre la crise des fondements de l'Union européenne.
C'est la stratégie du resserrement géographique qui serait plus appropriée afin de ne pas importer toutes les crises extérieures, et franchir les ligne rouges des autres puissances.
La Realpolitik prise dans son sens noble pourrait guider plus utilement l’action et devenir la nouvelle boussole européenne. Le terme de Realpolik doit être démystifié : La Realpolitik se base sur les réalités géographiques et historiques, mais aussi la lucidité et la prudence. Elle exige de combiner ruse et connaissance. Elle n’est utile et efficace qu’au service d’un projet politique.
Il n’y a pas de politique étrangère efficace sans stratégie de maîtrise du territoire dans une perspective historique et temporelle, et accompagnée d’une légitimité populaire.
L’enjeu des mutations actuelles pour l’Union européenne et ses Etats-membres est double : repenser la politique étrangère et extérieure de l’Union européenne et des ses Etats-membres, repenser le modèle européen de société. Crises de l'Union européenne et crises dans son voisinage peuvent être résolues de manière simultanée, mais une Union européenne en crise ne peut pas servir de béquille à d’autres pays en crise !
Le scénario euro-atlantique d’une poursuite de l'intrusion de l’Union européenne dans l'espace de l'ex-URSS serait contre-productif : elle mènerait à des frictions avec la Russie et deviendrait un obstacle au principe d’économie des moyens.
Dans un monde multicentré, l’ajustement entre projets géopolitiques concurrents et la stabilisation des aires de friction entre les pôles de puissances oscillant entre rivalité latente et coopération pourra difficilement être réalisé autrement que sur le principe de la balance de forces. C’est un préalable à une négociation entre pôles pour pérenniser la stabilité et favoriser le développement de valeurs communes. Avec la réduction croissante des moyens, le principe de resserrement géographique autour de son environnement géopolitique immédiat est aussi une réponse au problème de surextension, selon une stratégie de concentration des actions et d’économie des moyens.
Par réalisme politique, l’Union européenne devrait se concentrer sur son flanc sud, où se trouve la menace principale à sa sécurité, l'Islam radical et la crise migratoire, qui menace sa propre cohésion interne. Ses moyens graduellement relativisés devant les défis mondiaux l’amèneront sans doute à faire des choix drastiques. Les défis géopolitiques actuels suggèrent une manœuvre stratégique bidirectionnelle, combinant une réorientation majeure vers la Méditerranée et dans la profondeur euro-africaine, et un rapprochement rapide avec la Russie pour gérer de manière commune les défis de la sécurité européenne provenant de l’Est.
[i] http://www.euractiv.com/section/politics/news/report-armenia-and-azerbaijan-closer-to-war-over-nagorno-karabakh/