Projet d’Europe de la défense:  Cheval de Troie de l’industrie de défense américaine et vassalisation européenne

Projet d’Europe de la défense:  Cheval de Troie de l’industrie de défense américaine et vassalisation européenne

9 février 2025 0 Par Pierre-Emmanuel Thomann

La Commission européenne a dévoilé en mars 2024, sa première stratégie industrielle de défense (EDIS) et un nouveau programme pour l’industrie de la défense (EDIP), visant à renforcer la préparation de l’Europe en matière de défense.

Le programme EDIP vise à stimuler la production d’équipements de défense et la compétitivité du continent, notamment par le biais de marchés publics communs. Les propositions visent aussi à subventionner l’industrie de la défense ukrainienne contenue dans le projet de règlement.

Les propositions de la Commission européenne visant à construire un marché européen de la défense font depuis l’objet de négociations entre les Etats membres, qui sont rendues difficiles en raison de plusieurs controverses. Ces propositions sont en réalité en totale contradiction avec l‘exigence de souveraineté en matière de défense et risqueraient non seulement de diminuer la marge de manœuvre de la France dans l’UE, mais constituent aussi une menace à l’élaboration d’une Europe des nations plus indépendantes en accélérant leur vassalisation dans un espace euro-atlantique dominé par les Etats-Unis et leur industrie de défense.     

La tentative d’intégration des industries de défense en Europe, proposée par la commission européenne, puisque l’Union européenne est complémentaire à l’OTAN aboutirait ainsi à la vassalisation accélérée des Européens aux Etats-Unis qui dominent l’OTAN. En effet, comme les Etat-Membres, excepté la France, ne sont pas souverains (sous parapluie nucléaire américain), la question de l’autonomie stratégique promue par Paris est une illusion. Les partenaires de la France auront toujours tendance à prendre des décisions sans se préoccuper de l’indépendance stratégique que pourrait apporter le développement d’une base industrielle de défense purement européenne. Comme il s’agit de programmes basés sur le marché intérieur de l’UE, la France risquerait d’être chaque fois mise en minorité sur des programmes décidés à la majorité qualifiée.

Dans les négociations difficiles qui se déroulent sur le projet de règlement de l’UE (EDIP), Il n’y a en effet que la France qui propose une préférence européenne pour les achats d’armements. Comme Paris est isolé, du fait du tropisme atlantiste de tous les autres Etat-membres, tout compromis sur ces propositions de l’UE aboutirait à une capitulation et au final, la possibilité d’achats d’armement américain avec les financements de l’UE, c’est à dire les contribuables français.

La controverse porte aussi l’armement américain fabriqué sous licence dans l’UE notamment en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas. Les entreprises américaines sont présentes dans plusieurs États membres de l’UE, produisant sous licence et coopérant avec les industries nationales ou leurs propres lignes de production. Par exemple, les Pays-Bas assemblent les systèmes de défense aérienne américains Patriot, tandis que l’entreprise allemande Rheinmetall fabrique les HIMARS américains.  Les industries sud-coréennes ont également établi une production de missiles et de chars en Pologne.

Depuis la nouvelle présidence de Donald Trump, on observe aussi  la vassalisation croissante  des Etats-Membres et des institutions UE et OTAN qui veulent acheter américain  pour plaire à Donald Trump  afin qu’il n’engage pas de guerre commerciale contre l’UE et que Les Etats-Unis restent en Europe pour ne pas laisser les Européens seuls face à la Russie. La menace russe est en réalité inexistante  car on ne voit pas bien quel intérêt aurait le Russie d’attaquer  les Etats membres de OTAN et de l’UE, alors que sa priorité est d’arrêter l’élargissement de l’OTAN qui résulte de la stratégie encerclement du monde russe par l’axe Washington-OTAN-UE

Le programme de l’UE prévoit aussi d’intégrer l’Ukraine dans ce marché européen de la défense alors que ce Etat n’est ni membre de l’UE ni de l’OTAN. Ce volet est destiné à poursuivre les  transferts d’armements à Kiev et donc le financement du régime de Kiev, proxy de Washington contre la Russie par les contribuables européens et français et allemands en particulier, car l’Allemagne et la France sont contributeurs nets au budget de l’UE.  

En fin de compte, ce programme démontre que la Commission européenne, avec Ursula Von der Leyen à sa tête, défend les intérêts géopolitiques germano-américains et non pas européens. Ses objectifs sont multiples. Il s’agit d’européaniser les marchés européens de défense (communautarisation), donc noyer les intérêts nationaux dont la France dans une « Europe américaine », périphérie de l’espace euro-atlantique contre la Russie/Chine (à l’opposé de la vision européenne gaullienne de la France). De plus en, en contournant la compétence des Etats sur la défense, la Commission européenne veut construire une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne fusionnée avec la BITD américaine et mettre les complexes militaro-Industriels otanisés des Etats européens, au service du régime de Kiev, proxy de Washington, et donc à la remorque des objectifs géopolitiques américains. 

L’objectif de la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen est aussi de sanctuariser une clause qui permet de torpiller la préférence européenne pour privilégier les équipements américains. La part de contenu européen, à terme, est ciblée autour de 65%, ce qui laisse la porte ouverte au phagocytage par l’industrie de défense américaine.  Il s’agit ainsi de prolonger la garantie de sécurité des États-Unis car l’Allemagne est sous le parapluie nucléaire américain mais aussi d’éviter les sanctions commerciales contre l’Union qui menace les intérêts commerciaux allemands.  On imagine que le livre blanc de la défense qui va être publié bientôt par le nouveau commissaire à la défense, Andrius Kubilius, va se focaliser de manière hystérique sur l’invention d’une menace russe, qui permettra de justifier cette fuite en avant intégrationniste euro-atlantiste.

L’UE cherche aussi à faire de la Russie, un ennemi pour poursuivre son objectif d’intégration, en contournant les Etats et les peuples, alors que le projet est de plus en plus contesté par les nations les peuples européens, dans leur majorité ne veulent, ni suivre le chemin de la guerre au profit des complexe militaro-industriels otanisés, ni perdre leur identité, au profit d’une construction hors sol qui divise la souveraineté des nations.  

Ces propositions de la commission européenne mettent sous une lumière crue la question de nos alliances, qui deviennent obsolètes pour défendre les intérêts de la France comme nation d’équilibre.  Ces alliances OTAN et UE otanisée nous poussent à la vassalisation définitive dans un espace euro-atlantique dominé par les Etats-Unis, qui se paieront le luxe de faire contribuer les Européens à leur industrie de défense, non seulement au niveau bilatéral comme c’est déjà largement le cas, mais maintenant directement par l’UE.  Les alliances de la France sont non seulement obsolètes mais nous entrainent vers un projet qui relève de l’aliénation géopolitique

Un renforcement de la puissance militaire de la France, est nécessaire, mais pour quels objectifs géopolitiques ? Sont-ils partagés avec les autre Etats-membres de l’UE ? Quelles sont les finalités géopolitiques du projet européen porté par l’UE ? La défense de l’Europe, pour quoi faire ?  

Les alliances de la France sont-t-elles en adéquation avec la nouvelle configuration géopolitique multipolaire, avec la doctrine America First ? la rivalité de Etats-civilisations ? la doctrine non-coopérative de l’Allemagne ? Le resserrement géopolitique des grands ensembles civilisationnels comme la réunification allemande, le monde anglo-saxon (AUKUS Five Eyes), réunification russe et le Monde russe ? La réunification chinoise ?  L’expansion du monde panturc, le panislamisme ? L’Inde ?

Quel rôle pour la France dans ce nouvel ordre spatial en évolution ?

Or, c’est seulement après la définition de nos priorités géopolitiques nationales qu’une politique d’alliances peut être conçue. Sans définir notre stratégie géopolitique de manière indépendante, et en se focalisant uniquement sur les capacités militaires, c’est forcément nous aligner sur les priorités géopolitiques des Etats-Unis qui dictent les priorités à l’OTAN et maintenant aussi à l’UE otanisée. On l’a dit, la menace russe n’existe pas pour la France, Se positionner contre la Russie, c’est précisément faire le jeu de Washington, qui cherche à faire des européens des Etats fronts après avoir épuisé leur proxy Kiev.

Nos alliances sont aujourd’hui en réalité obsolètes et notre appartenance aveugle à l’OTAN et l’UE otanisée, c’est-à-dire sans redéfinition du positionnement géopolitique de la France dans le nouveau monde multicentré nous entraine vers une politique de blocs et des priorités qui ne sont pas celles de la France comme puissance d’équilibre.

Une négociation sur une augmentation des capacités militaires dans l’UE, sans stratégie géopolitique commune, c’est à dire stratégie spatio-temporelle avec diagnostic géopolitique commun, définition commune de l’ennemi, priorités géopolitiques communes et finalités partagées du projet européen, n’a aucun sens. Aucun de ces éléments existent. C’est un projet mort-né pour une Europe des nations indépendantes. C’est par contre une entourloupe pour faire fusionner les bases industrielles de défense européennes et américaines et financer l’armement américain et les complexes militaro-industriels otanisés par les contribuables, et on s’aligne sur les priorités géopolitiques américaines, c’est une double vassalisation.   

En conclusion, l’intrusion de l’UE dans le secteur de la défense, domaine régalien devrait être bloquée par la France. Ces propositions, sans préférence européenne stricte  et sans garantie de maintenir une compétence exclusive pour les Etats en matière de défense, devraient être écartées. De toute manière (et sans doute heureusement) avec les financements anémiques (EDIP mobilisera initialement, pour la période 2025-2027, 1,5 Md€ du budget de l’Union européenne) et un saupoudrage inéluctable, il n’y a aucune chance d’aboutir à une défense européenne autonome.  Toutefois ce programme est supposé monter en puissance financière par la suite.  Le problème se pose à plus long terme, avec cette voie de l’intégration promue par l’UE, qui risquerait d’avancer petit à petit, selon la théorie néofonctionnaliste de l’engrenage, et gaspiller de plus en plus d’argent pour un résultat nul et même contraire à l’indépendance de la France. 

La priorité nationale devrait se porter sur le resserrement géopolitique de la France  pour se concentrer sur ses priorités et ses intérêts et non pas se laisser entrainer, par le jeu des alliances euro-atlantiques,  à intégrer son industrie de défense dans l’UE et l’OTAN  au bénéfice d’une désignation de l’ennemi, la Russie et la Chine, entièrement décidée par les Etats-Unis  et leurs supplétifs. Les menaces pour la France existent bien mais elles sont multiples : la menace intérieure et le terrorisme islamiste, la Turquie, l’Algérie et à nouveau la Syrie sont des bombes à retardement.  La menace américaine qui a toujours été escamotée (d’où la sidération vis à vis du sabotage de Nord Stream et les visées sur le Groenland) va s’aggraver, est-il possible de lever ce tabou ?