Sommet des BRICS (Kazan 2024) en Russie : l’émergence d’un ordre géopolitique alternatif à l’ordre américain
La Russie a déjà gagné sa guerre mondiale contre l’Occident américanisé, enjeu central de la guerre en Ukraine, car elle a définitivement fait évoluer les alliances mondiales grâce à son intervention militaire vers un monde plus multicentré.
C’est une véritable bascule géopolitique de nature systémique avec l’’émergence d’une mondialisation alternative que démontre la montée en puissance des BRICS, mais aussi l’Organisation de Shanghai. Cette réorganisation de l’ordre spatial et géopolitique constitue le vrai centre de gravité géopolitique du conflit ukrainien, dont les enjeux dépassent de loin les questions plus strictement géostratégiques dans le conflit entre les Etats-membres de l’OTAN qui soutiennent Kiev sous la direction de Washington et la Russie
L’Union européenne (UE) et les Etats-Unis sont en réalité isolés dans leur guerre hybride contre la Russie car le reste du monde refuse désormais le monde unipolaire centré sur l’Occident.
Ainsi, les sanctions économiques prises par les États membres de l’UE et de l’OTAN ne sont pas suivies par d’autres États d’Eurasie, d’Amérique du Sud et d’Afrique, ce qui remet en question le projet unipolaire de l’Occident sous la direction des États-Unis. L’Union européenne par contre s’aligne de plus en plus sur les priorités géopolitiques de l’OTAN et des États-Unis, avec une marge de manœuvre réduite et poursuit sa vassalisation. L’UE dérive vers un statut de périphérie géopolitique de l’espace euro-atlantique.
En effet on constate le refus de la plupart des Etats en Eurasie, en Afrique et en Amérique latine, de s’aligner sur la guerre économique de l’Occident collectif contre la Russie. Il s’en suit aussi un effondrement des institutions multilatérales incapables de s’entendre sur le droit international, car il fait l’objet d’interprétation contradictoires et unilatérales. Pour résumer, on est passé depuis 1991 lors de la fin de l’URSS, d’une configuration bipolaire à une configuration unipolaire, et enfin multipolaire aujourd’hui.
A l’échelle mondiale, cette mutation des alliances couplée à l’appartenance de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU empêche désormais toute interprétation unilatérale du droit international par l’Occident américanisé (l »’Occident collectif » selon Moscou), d’où la participation d’Antonio Guterres au sommet de BRICS, car l’ONU se doit d’accompagner cette transformation de l’ordre géopolitique pour ne pas être marginalisée définitivement.
Dans ce contexte, les mutations du système multilatéral issu du nouvel ordre spatial émergent accéléré par la crise en Ukraine, reflètent ainsi la nouvelle multipolarité. On a d’un côté les désaccords entre Etats à l’ONU, la marginalisation de l’OSCE, l’expulsion de la Russie du Conseil de l’Europe, syndrome de l’affaiblissement du système multilatéral issu de la deuxième guerre mondiale et la fin de la Guerre froide, mais on observe par contre la montée en puissance de l’Organisation de Shanghai (OCS) et des BRICS. Le rapprochement bilatéral entre la Russie et la Chine qui constituent le cœur de l’OCS, est logique selon l’angle géopolitique. La Russie va poursuivre son projet de Grande Eurasie et son pivot vers l’Asie va s’accélérer. La Chine en particulier ne peut pas laisser la Russie perdre ce conflit, car si Moscou venait à s’effondrer et se rapprocher ensuite de l’Occident collectif, la Chine risquerait l’encerclement en Eurasie.
Hormis la Russie, les Etats membres de ces deux organisations, OCS et BRICS, ont officiellement une position non alignée et refusent non seulement d’appliquer des sanctions mais augmentent leurs échanges commerciaux et énergétiques avec la Russie, notamment l’Inde, qui joue un rôle important d’Etat d’équilibre au sein de l’OCS et les BRICS.
De 2022 à 2023, 23 pays ont officiellement soumis leur demande pour rejoindre les BRICS : l’Algérie, l’Argentine, le Bahreïn, le Bangladesh, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba ,l’Egypte, l’Ethiopie, le Honduras, l’Indonésie, l’Iran, le Kazakhstan (qui reste en attente), le Koweït, le Nigéria, la Palestine, l’ Arabie saoudite, la Serbie, le Sénégal, la Thaïlande, les Emirats Arabes Unis, le Venezuela et le Viêt Nam et démontre aussi l’attractivité géopolitique croissante de cette organisation. L’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Egypte les Emirats Arabes Unis, l’Ethiopie et l’Iran ont obtenu leur adhésion qui est devenue effective en 2024, mais pas l’Argentine qui a abandonné son processus de rapprochement fin 2023. A Kazan, le statut de partenaires a été accordé à la Turquie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, l’Algérie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l’Indonésie, la Malaisie, le Nigéria, la Thaïlande, l’Ouganda, et le Viet-Nam.
Le concept de BRICS + a ainsi l’ambition de développer les liens économiques avec le Sud Global (aujourd’hui désigné « majorité mondiale » par els Russes) Les Etats membres travaillent à la création d’une banque d’investissement et une monnaie de réserve alternative au dollar.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, l’OCS non seulement poursuit sa promotion d’un monde multipolaire (OCS, 2023, mais attire de plus en plus d’Etats. L’Iran est devenue membre de l’OCS en 2021 tandis la Biélorussie va commencer la procédure d’adhésion. Le statut de partenaires de dialogue a été accordé à Bahreïn, aux Maldives, au Kuwait, aux Emirats Arabes Unis et à Myanmar, tandis que l’Egypte, l’Arabie saoudite et le Qatar ont initié la procédure pour l’obtenir.
Dans le contexte d’une importance croissante de l’OCS, un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine et un rapprochement entre la Turquie et la Syrie sous l’égide de la Russie avait été initié, d’où la déstabilisation croissante du Proche Orient par l’axe Washington-Tel-Aviv en élargissant sans cesse les fronts contre Gaza, Syrie, Liban, Iran. Israël, soutenue par les Etats-Unis , a évidemment réagit à l’attaque du Hamas en Israël mais aussi pour torpiller le processus d’entente qui agirait en dehors du système occidentaliste ( accords d’Abraham), et enfin compenser la défaite de Washington dans sa guerre hybride en Ukraine et dans le monde pour faire chuter Moscou.
De point de vue de la posture géopolitique, les BRICS n’ont pas pour objectif collectif d’être en opposition frontale contre l’Occident américanisé, leur objectif est autre. Seule la Russie s’y oppose indirectement sur le théâtre Ukrainien mais la Moscou a aussi proposé de coopérer avec les membres de l’Occident traditionnel et non inféodé à Washington et ses instruments OTAN/UE comme la Hongrie, la Slovaquie, ou tout Etat qui se montrera ouvert à un rapprochement après l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement plus indépendant de Washington.
Le scénario d’une négociation entre Washington et Moscou pour endiguer la crise en Ukraine qui aggrave inéluctablement la défaite de l’Occident américanisé est aussi un scénario plausible après les élections américaines. Pour un arrêt des hostilités, cette négociation devra s’accorder les exigences de la Russie, c’est à dire pas d’élargissement à l’OTAN et la reconnaissance de facto ou de jure des nouvelles frontières en Ukraine)
L’enjeu majeur sera de chercher à masquer l’humiliation de Washington et ses supplétifs de l’OTAN/UE dans ce conflit qu’ils ont provoqué, et perdu. L’Union européenne et ses Etats membres qui ont soutenu Kiev seront les grands perdants, quel que soit le scénario, car l’objectif de Washington à l’occasion de de ce conflit était aussi de torpiller toute entente continentale européenne sur l’axe Paris-Berlin-Moscou. L’alternative à la négociation favorable aux exigences de Moscou, c’est un soutien croissant à Kiev aggravant la cobelligérence contre la Russie. Cela signifierait le prolongement d’une guerre qui sera toujours plus défavorable au régime de Kiev qui perdra de plus en plus de territoires, la poursuite et l’affaiblissement géopolitique des Européens qui ont choisi de s’aligner sur Washington et enfin le déclin relatif des Etats Unis face à l’émergence du monde multipolaire;
Les BRICS et l’OCS, ne sont pas une anti-OTAN, même si ces organisations se préoccupent aussi de sécurité. Les BRICS et L’OCS offrent en réalité une alternative économique et géopolitique au système de domination occidentaliste qui se matérialisait avant à l’ONU par un système de règles qui changeait en fonction des objectifs géopolitiques de Washington et de ses supplétifs au détriment de la souveraineté des Etats. Ces règles étant imposées par l’élargissement OTAN et UE pour imposer l’occidentalisation des nouveaux espaces géopolitiques jusque dans la profondeur eurasienne. Les BRICS et l’OCS ont par contre pour objectif de créer la confiance entre Etats pour le règlement de leurs différents, sans interférence d’un centre unipolaire et sur le principe d’équilibre géopolitique. Pour la Russie, l’idée est aussi de créer à l’avenir un partenariat autour de la Grande Eurasie avec la participation des Etats membres de l’OCS, l’Union eurasiatique, l’ASEAN, tout en restant ouvert à d’autres associations.
En fin de compte, les BRICS et l’OCS sont des forums alternatifs et souples (ni intégration, ni article 5) qui offrent un nouvel espace de coopération multipolaire et une mondialisation alternative à la mondialisation occidentale basée sur l’unipolarité américaine. Ses membres coopèrent et règlent leurs différents sans passer par Washington et sa doctrine d’occidentalisation, mais avec leurs propres concepts, doctrines et système de pensée selon une vision multipolaire, accompagné de la préservation de la diversité des civilisations et des systèmes de valeur.
Les Etats membres européens de l’OTAN et l’UE otanisée dérivent par contre vers une situation d’aliénation géopolitique après des décennies d’américanisation et con marginalisés par ce nouvel ordre spatial et géopolitique.
Pour les nations européennes, dont la France, La seule voie pour regagner leur souveraineté et leur identité civilisationnelle confisquée par l’empire occidental américanisé, c’est de rejoindre ce processus alternatif, et accepter la coopération avec les BRICS et l’OCS. Cette nouvelle posture ne pourra se réaliser que sur un choix national au niveau des Etats ou dans de nouvelles coalitions de volontaires et non pas au niveau de l’UE. L’UE est en effet basée sur des paradigmes obsolètes. Puisque qu’elle est complémentaire à l’OTAN, elle est donc vassalisée aux Etats-Unis et poursuivra sa marginalisation dans les affaires internationales marquées par ce darwinisme des institutions internationales.