Vases communicants géopolitiques dans le conflit Israël-Iran et Ukraine-Russie
L’escamotage par les médias et les politiques des enjeux géopolitiques dans escalade militaire en Israël et l’Iran, sont un obstacle à la compréhension des évènements, et donc aussi un obstacle pour leur résolution, ou a minima, une stabilisation précaire et temporaire qui ralentirait la montée aux extrêmes.
Washington cherche à compenser l’échec de Kiev dans la guerre en Ukraine provoquée par Washington-OTAN-UE et le renforcement de la Russie dans le nouvel ordre spatial multipolaire par l’ouverture de nouveaux fronts. On comprend mieux alors la démonstration de force de Washington par l’intermédiaire d’Israël au Proche Orient, contre Gaza, le Liban et l’Iran sans toutefois dériver vers une guerre frontale (qui ne peut pas être gagnée), au détriment des populations civiles et de la résolution du conflit israélo-palestinien et israélo-iranien.
De plus il est contreproductif et fallacieux de projeter la question de l’islamisme en France sur les conflits israélo-palestinien et israélo-iranien et les enjeux du Proche-Orient, tant en ce qui concerne le soutien unilatéral au Hamas ou le Hezbollah des milieux islamo-gauchistes et islamistes ou le soutien unilatéral à la mouvance ultra-sioniste. Dans les deux cas, il s’agit largement d’instrumentaliser les crises extérieures, pour des enjeux de politique française interne.
Le terrorisme islamiste en France est le fait des sunnites islamistes qui veulent un califat mondial et non pas des chiites de l’Iran et Syrie et Liban qui sont plus liés à l’héritage perse et la défense de l’Etat libanais. L’Etat islamique a émergé à cause de la guerre en Irak 2003 initiée par les néoconservateurs américains et israéliens, même mouvance qui utilise l’Ukraine et Israël comme proxys contre la Russie-Iran-Chine, car ils font la promotion d’un monde multipolaire. Il ne faut pas oublier que la Russie, l’Iran et le Hezbollah ont défait de manière décisive les islamistes sunnites en Syrie et évité un changement de régime soutenu par Washington et Tel-Aviv ainsi que les capitales des membres européens de l’OTAN , qui aurait favorisé l’Etat islamique et aurait amené al-Qaïda à Damas.
Les néoconservateurs de Tel-Aviv, Kiev et Washington ont favorisé l’islamisme sunnite avec leur politique de changement de régimes pour torpiller le monde multipolaire émergeant contre la Russie et l’Iran mais aussi contre l’Europe (les réseaux Soros, le wokisme, l’idéologie de la société ouverte et néolibérale). Islamisation et américanisation (la monde liquide anglo-saxon) vont de pair, ce sont deux aspects de la même médaille.
Le contexte régional s’est ainsi aggravé avec la politique des changements de régimes de Washington (Irak, Libye, tentative ratée en Syrie). Les Etats issus du nationalisme arabe, plus proches des modèles politiques européens, tant d’inspiration socialiste que républicaine, ont été écartés au profit de régimes plus islamistes. La destruction de l’Irak en 2003 suite à l’intervention d’une coalition internationale menée par Washington a notamment permis la montée en puissance de l’Iran, qui aspire à devenir la première puissance régionale. De plus, l’Iran, tant qu’il se sentira aussi menacé par Israël et les Etats-Unis selon une perspective d’encerclement, soutiendra le Hezbollah et le Hamas. Au final, les Etats-Unis n’ont ni entravé l’expansionnisme d’Israël, ni poussé sérieusement à la mise en œuvre de la solution à deux Etats, tandis que le Qatar, la Turquie, l’Iran ont de leur côté soutenu le Hamas, dans la perspective de leur propre projets expansionnistes et islamistes.
Il est aussi nécessaire de comprendre la posture géopolitique des Etats-Unis de la vision géopolitique du monde de Washington. L’Ukraine (contre la Russie) mais aussi Israël (contre l’Iran) sont les deux Etats pivots sur lesquels Washington s’appuie pour le contrôle du Rimland, dans sa stratégie géopolitique d’encerclement de l’Eurasie. (Selon la doctrine géopolitique de Spykman qui a fortement influencé les doctrines géopolitiques des Etats-Unis depuis la Seconde guerre mondiale « Qui contrôle le Rimland dirige l’Eurasie, qui dirige l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».)
Ainsi, Les Etats-Unis font de l’Europe et du Moyen-Orient un « Rimland », c’est-à-dire un espace côtier sous leur contrôle qui a pour objectif de bloquer une orientation de l’UE et du Moyen Orient vers l’espace eurasien, et donc vers la Russie, mais aussi la Chine par voie continentale. L’Europe et le Moyen-Orient ne sont que l’un des théâtres de leur stratégie géopolitique vis-à-vis de l’Eurasie, qui consiste à envelopper ce continent par les fronts est-européen, moyen-oriental et indopacifique (voir carte : la stratégie géopolitique des Etats-Unis contre la Russie dans le contexte multipolaire).
Washington et Bruxelles qui lui est de plus en plus vassalisée accusent Moscou d’être à l’origine du retour violent de la question israélo-palestinienne en suggérant un lien entre la Russie, l’Iran et le Hamas. Ils escamotent ainsi leur propre responsabilité dans la résurgence du conflit israélo-palestinien par leur incapacité à mettre en œuvre la solution à deux Etats.
Si Washington veut démontrer qu’il est capable de soutenir Israël dans sa guerre à outrance, contenir l’Iran et ses proxys au Liban et au Yémen, mais aussi de poursuivre sa guerre hybride contre la Russie en Ukraine, Washington risque la surextension. Les Etats-Unis vont s’embourber de plus en plus dans ces deux conflits qui ne peuvent plus être résolus selon les termes anciens, c’est à dire le détachement définitif de l’Ukraine de la Russie et le renforcement d’Israël par abandon d’un Etat palestinien. Maintenir la suprématie des Etats-Unis en Europe de l’Ouest et au Moyen-Orient, deux zones clés du Rimland, va être de plus en plus difficile.
Washington va devoir faire des choix drastiques, et envisager d’autres stratégies alternatives.
Face à la faillite en Ukraine, il semble bien que l’aide à l’Ukraine rencontrera de plus en plus d’opposition, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe. Au-delà de l’échec de la contre-offensive ukrainienne, plus fondamentalement, la Russie a déjà gagné la guerre, car elle a définitivement fait évoluer les alliances mondiales grâce à son intervention militaire en Ukraine vers un monde plus multicentré. L’émergence d’une mondialisation alternative avec la montée en puissance des BRICS et l’Organisation de Shanghai (OCS) en est la première conséquence. Cette réorganisation de l’ordre spatial et géopolitique constitue le vrai centre de gravité géopolitique de ce conflit mondial. L’UE et des Etats-Unis sont isolés dans leur guerre hybride contre la Russie car le reste du monde refuse le monde unipolaire centré sur l’Occident.
Dans ce contexte, les Etats-Unis sont obligés de soutenir Israël avec qui ils ont la relation interétatique la plus étroite dans le monde. Un changement de priorité géopolitique avec un retour au Proche-Orient pourrait être un moyen de préparer des négociations à propos de l’Ukraine sans apparaitre comme les perdants de la nouvelle configuration. Si Washington pivote vers le Moyen-Orient pour obtenir une compensation géopolitique, la guerre en Ukraine n’est pas pour autant terminée, car il va être difficile pour Washington et Kiev d’accepter la défaite. Trouver un moyen de ne pas perdre la face va prendre du temps et prolonger le conflit.
Le scénario de l’escalade avec l’accroissement de livraisons d’armes de Washington à l’Ukraine mais aussi à Israël est le pire scénario pour la stabilité mondiale et n’offre aucune perspective. Dans le cas d’un gel des opérations militaires stricto sensu, tant en Ukraine que dans le cadre du conflit israélo-palestinien, mais sans accord sur un nouveau système international, on assistera à la poursuite de la guerre hybride et donc aussi à l’aggravation du conflit mondial entre les promoteurs de l’unipolarité et ceux de la multipolarité.
Une sortie par le haut est pourtant possible à plus long terme, en instaurant un nouveau concert des puissances mondiales, c’est à dire une acceptation d’un nouvel ordre spatial et géopolitique multipolaire plus adapté pour l’endiguement des conflits.
Rappelons l’enjeu géopolitique principal du conflit explicité dans la première partie de cette analyse La résurgence du conflit israélo-palestinien se déroule dans le contexte d’une nouvelle configuration géopolitique mondiale qui change la donne et modifie considérablement les conditions de sortie de crise. En toile de fond de la crise israélo-palestinienne et la crise israélo-iranienne, qui s’ajoutent à la crise en Ukraine, c’est le nouvel ordre spatial et géopolitique mondial dans sa transition vers la multipolarité qui se joue. Tout conflit régional, est désormais instrumentalisé dans la partie qui se joue au niveau mondial, la préservation du monde unipolaire porté par Washington contre le projet multipolaire porté par Moscou et Pékin. C’est un enjeu géopolitique systémique.
Le soutien de l’UE à Israël, malgré des protestations qui relèvent plus de la communication face à l’épuration ethnique et aux bombardements de civils à Gaza (mais silence à propos de la politique d’assassinats ciblés de dirigeants politiques) comme à l’Ukraine en synergie avec Washington, sans contreparties pour une perspective géopolitique de long terme en fonction des intérêts européens, est en réalité le signe de la vassalisation de l’UE et de ses Etats membres par Washington. Bruxelles, sans stratégie géopolitique autonome, ne se positionne que comme un élément complémentaire de la stratégie des Etats-Unis , c’est à dire aligné sur les priorités géopolitiques de Washington et ne joue plus que le rôle de supplétif.
Par incapacité à prendre des responsabilités géopolitiques, la plupart des gouvernements des Etats membres de l’UE se sont accommodés de leur alignement sur la stratégie géopolitique des Etats-Unis qui consiste à utiliser des Etats-pivots dans le Rimland comme l’Ukraine et Israël, pour maintenir leur suprématie. Une orientation exclusive de l’UE comme allié principal des Etats-Unis selon le scénario euro-atlantiste implique donc pour les Européens de se positionner dans les limites imposées par les priorités géopolitiques des États-Unis, et d’agir en conformité. Dans cette configuration, une politique d’équilibre des Européens en fonction de leur propre géographie est donc rendue très difficile. Le scénario exclusif euro-atlantiste rend impossible in fine pour les Européens de décider de leurs propres finalités, faute d’avoir élaboré leurs propres priorités. Ce scénario tendanciel affaiblit les Européens car il fait d’eux une variable d’ajustement de la géopolitique mondiale.
Soutenir l’Ukraine dans son conflit avec la Russie à l’inverse de promouvoir une architecture européenne de sécurité plus équilibrée avec la Russie et de la même manière, soutenir Israël sans promouvoir une perspective de sortie du conflit israélo-palestinien et israélo-iranien, non seulement a pour résultat d’aggraver les conflits, mais en plus maintient l’Europe de l’Ouest dans la périphérie des Etats-Unis. Les deux conflits en Ukraine et au Proche Orient, menacent la stabilité de l’Europe car géographiquement proches, tandis que les Etats Unis au large de l’Atlantique n’en subiront pas les conséquences immédiates. Cet alignement sur la vision d’un Grand Occident, représentation géopolitique qui surplombe la stratégie unipolaire de Washington escamote les intérêts spécifiques des Européens.
Les intérêts de la France comme nation d’équilibre ne se confondent avec aucun acteur international, et donc ni avec Israël, ni l’Iran, ni l’Ukraine et les Etats-Unis. La ligne directrice de Paris devrait être l’équilibre. Paris s’est pourtant de plus en plus démarqué des principes géopolitiques gaulliens, tant vis à vis des Etats-Unis que d’Israël. Faire sienne les priorités géopolitiques de Kiev, et comme le fait aujourd’hui Paris, et critiquer mollement Tel-Aviv sans toucher aux vrais enjeux, c’est entrainer la France dans des conflits qui ne la concernent pas, l’amène à absoudre les erreurs de ces Etats et en définitive, s’aligner sur les priorités géopolitiques de Washington. Dans le contexte de la bascule géopolitique mondiale, c’est enfermer la France dans le camp occidentaliste en régression stratégique inéluctable et l’empêche de tirer avantage du monde multipolaire.
Au niveau mondial, la France n’a pas les moyens d’agir de manière décisive et à vrai dire aucune puissance n’a plus les moyens de le faire, sans entente sur un nouveau système international. Tous les conflits régionaux sont enchevêtrés et inexorablement aspirés dans la lutte de répartition des espaces géopolitiques entre grande puissances. L’arène mondiale est aujourd’hui caractérisée par l’ère de crises permanentes et dérive dangereusement vers une forme de troisième guerre mondiale. Agir au niveau mondial pour la limitation des conflits exige une multipolarité acceptée entre grands puissances. C’est une mutation de l’ordre spatial au niveau mondial qui pourrait donc aider à endiguer les conflits régionaux. La configuration spatiale actuelle ne permet pas de surmonter les conflits multiples, anciens et nouveaux. Au minimum, les grandes puissances en rivalité sur la répartition des espaces géopolitiques peuvent chercher à contenir les conflits régionaux et locaux afin de ne pas se transformer en affrontement à l’échelle mondiale.
Avec la fragmentation géopolitique du monde, les puissances secondaires, Israël et l’Iran par exemple vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, agissent de plus en plus en élections libres vis à vis des grandes puissances de stature mondiale comme les Etats-Unis ou la Russie et la Chine. Les mouvements comme le Hamas et le Hezbollah ont aussi des agendas de plus en en plus autonomes et cherchent à entrainer les puissances régionales vers l’internationalisation des conflits. De plus, tant que le facteur islamiste et extrémiste restera dominant chez les dirigeants Palestiniens mais aussi la vision sioniste jusqu’au-boutiste du Grand Israël chez les dirigeants Israéliens, tout dépassement du conflit sera impossible. Les Israéliens et Palestiniens paient le prix des erreurs de leurs dirigeants politiques avec des massacres de populations civiles des deux côtés.
Avec l’absence d’ordre spatial clair, les Etats-Unis et la Russie qui sont déjà en conflit en Ukraine pourraient ainsi être pris dans la spirale d’un nouveau front.
A minima, les grandes puissances en rivalité sur la répartition des espaces géopolitiques pourraient chercher à contenir les conflits régionaux et locaux afin de ne pas se laisser entraîner dans un affrontement plus large à l’échelle mondiale.
En réalité, afin de contenir les conflits régionaux menaçant de dériver vers un conflit mondial plus grave, Washington, mais aussi Paris et Berlin auront de plus en plus besoin de Moscou et Pékin.
Dans cette perspective, la France comme nation d’équilibre pourrait renouer son dialogue stratégique, non seulement avec la Russie et la Chine, mais aussi la Syrie, l’Iran et non pas uniquement les Etats plus proches du bloc occidentaliste.